aux Délices près de Geneve 26 may [1755]
Est il possible monseigneur le maréchal que votre santé soit si longtemps à revenir?
comment avez vous pu soutenir tant de douleurs et tant de privations? à quoy donc avez vous passé le temps dans ce désœuvrement si triste, et si étranger pour vous? Une tragédie chinoise ne vaut pas la belle porcelaine de la Chine. Vous vous connaissez à merveille à ces deux curiositez là; et vous avez dû bien sentir que la tragédie n'était point encor digne de paraitre sous vos auspices. Ces cinq magots de la Chine ne sont encor ny cuits ny peints comme je le voudrais. Il faut attendre l'année de votre consulat, pour les présenter, et employer baucoup de temps pour les finir.
Mais je suis actuellement très incapable de cuire et de peindre. Ce maudit ouvrage d'une autre espèce dont on vous a régalé pendant votre maladie, me rend bien malade. On m'en a envoyé des morceaux indignement falsifiez qui font frémir le bon goust et la décence. Ces rapsodies courent. On veut les imprimer sous mon nom. L'avidité et la malignité se joignent pour me tuer. Je vous conjure de parler à ceux qui vous ont fait lire ces misères; ils sont à portée d'empêcher qu'on ne les publie. J'aurai l'honneur de vous faire tenir le véritable manuscrit. Il vous amusera. Il n'en vaut que mieux pour être plus décent. Un peu de gaze sied bien même à un âne.
Un nommé Corbi est fort au fait de toutte cette horreur. Si vous daignez l'envoyer chercher, il renoncera au projet d'imprimer quelque chose de si détestable et de si dangereux dans l'espérance de faire des profits plus honnêtes.
Madame Denis et moy nous nous mettons entre vos mains, et nous espérons tout de vos bontez.