La librairie messieurs est en France, un établissement trop noble pour que je ne vous prie pas de vous joindre à moy, afin d'empêcher qu'on ne l'avilisse.
J'aprends deux choses contraires à tous vos règlements, la première qu'un imprimeur nommé le sieur Prieur a acheté ce qu'il dit, une partie des mémoires que j'avais composez dans les bureaux des ministres pour servir un jour à l'histoire du plus glorieux événements du règne du Roy. Je déclare que cés mémoires informes qui ont été volez dans les dépôts respectables où je les avais laissez, ne sont point faits pour voir le jour. La seconde prévarication dont on ne menace est l'impression d'un ouvrage impertinent composé par quelques jeunes gens sans goûts et sans mœurs sur un ancien canevas, que j'avais fait il y a plus de trente ans. Il est intitulé la pucelle d'Orleans. Les fragments de cette indigne rapsodie qui courent sous mon nom dans Paris, m'ont été envoiez. Ils déshonoreraient la Librairie. Je vous fais les plus vives instances pour prévenir le débit de touttes ces œuvres de ténèbres.
Quand je veux faire imprimer quelque ouvrage de moy, j'en fais présent hautement au libraires. L'honneur des lettres et la justice exigent qu'on n'imprime pas ce que je ne veux pas donner, et encor moins ce que je n'ay pas fait. J'attends ce service de vous, et je suis avec zêle
Messieurs,
Votre très humble & très obéissant serviteur
Voltaire
aux Délices près de Genève 30 [aoust 1755]