1755-11-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à David Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches.

Monsieur,

On ne peut étre plus sensible que je le suis à vos bontez Et à vos conseils.
Vous verrez que j'ay pensé entièrement comme vous, si vous voulez bien jetter les yeux sur ma Lettre à M. Jean Jacques Roussau, qui est à la suitte de l'orphelin de la Chine et sur ma lettre à l'âcadémie française qui doit étre dans la gazette de Berne. Je sçai qu'on a fait trois éditions en même temps de la Rapsodie dont je me plains, et dont j'ay peut être tort de me plaindre. L'édition que j'ay vüe, est si ridicule qu'il faut l'abandonner au mépris et à l'oubli. Je ne peux empêcher l'avidité des libraires de vendre mon nom comme ils peuvent; on vient d'imprimer encor sous mon nom en Angleterre des fragments d'une histoire de la dernière guerre. Tout ce que je peux faire est désaprouver ce brigandage de la Librairie, et de songer à achever en paix ma vie, en suportant les maladies dont je suis accablé, sans y ajouter des chagrins qui les augmenteraient. Monsieur Polier de Bottens m'a donné les Marques les plus empressées de l'amitié dont il m'honnore, en cherchant à prévenir le débit du plat ouvrage au quel je donnais trop de poids avant de l'avoir vu. Je ne dois m'occuper Monsieur que de ma Reconnaissance pour vos bontez, et pour les siennes, et tâcher de me mettre en état de venir vous en Remercier.

J'ay l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois,

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire

L'académie française vient de m'écrire. Elle proteste hautement contre ces éditions misérables qui seront méprisées à Paris comme elles doivent l'être.