Aux Délices, le 16 mai [1755]
On m'a renvoyé de Paris, monsieur, une lettre que vous avez écrite au sieur Corbier.
Vous lui mandez que vous allez faire une édition d'un poème intitulé la Pucelle d'Orléans dont vous me croyez l'auteur, et vous le priez de la débiter à Paris. On m'a envoyé en même temps des lambeaux du manuscrit que vous achetez. Je dois vous avertir que vous ne pouvez faire un plus mauvais marché; que ce manuscrit n'est point de moi; que c'est une infâme rapsodie aussi plate, aussi grossière qu'indécente; qu'elle a été fabriquée sur l'ancien plan d'un ouvrage que j'avais ébauché il y a trente ans; que c'est l'ouvrage d'un homme qui ne connait ni la poésie, ni le bon sens, ni les mœurs; que vous n'en vendriez jamais cent exemplaires; et qu'il ne vous resterait après avoir perdu votre argent, que la honte et le danger d'avoir imprimé un ouvrage scandaleux. J'espère que vous profiterez de l'avis que je vous donne; je serai d'ailleurs aussi empressé à vous rendre service qu'à vous instruire du mauvais marché qu'on vous propose. Si vous voulez m'informer de ce que vous savez sur cette affaire, comme je vous informe de ce que je sais positivement, vous me ferez un plaisir que je reconnaîtrai, étant tout à vous.
Voltaire, gentilhomme ordinaire du roi