[December 1756]
Parmi les nouvelles affligeantes pour les bons citoyens dans plusieurs parties de l'Europe, il y en a de bien désagréables dans la littérature.
On se contentait autrefois de critiquer les auteurs: on a fait succéder à cette critique permise un brigandage inouï: on a fait imprimer leurs ouvrages falsifiés et infectés de tout ce qu'on croit pouvoir nourrir la malignité, pour favoriser le débit. Voici comme s'explique sur ce criminel abus m. l'abbé Trublet dans sa préface des Lettres de feu mr de la Motte:
'On donne de nouvelles éditions des ouvrages des gens célèbres, pour avoir occasion d'y répandre les notes les plus scandaleuses, et les traits les plus satiriques contre leurs auteurs. Il était réservé à notre siècle de voir pratiquer dans les lettres ce brigandage.'
Le sage auteur de cette remarque parlait ainsi en 1754 à l'occasion du Siècle de Louis XIV, dont m. la Beaumelle s'avisa de faire et de vendre une édition chargée de tout ce que l'ignorance a de plus hardi, et de ce que l'imposture a de plus odieux. La même aventure se renouvelle depuis cinq ou six mois. Le même éditeur a falsifié plusieurs lettres de madame de Maintenon, et en a supposé quelques unes de m. le maréchal de Vilars, de m. le duc de Richelieu, qu'ils n'ont jamais écrites; et c'est encore là le moindre abus dont on doit se plaindre dans la publication scandaleuse des prétendus mémoires de mad. de Maintenon.
Le comble de ces manœuvres infâmes est une édition d'un poème intitulé la Pucelle d'Orleans. L'éditeur a le front d'attribuer cet ouvrage à l'auteur de la Henriade, de Zaïre, de Mérope, d'Alzire, du Siècle de Louis XIV et tandis que nous attendons de lui une Histoire générale et qu'il travaille encore au Dictionnaire encyclopédique on ose mettre sur son compte le poème le plus plat, le plus bas et le plus grossier qui puisse sortir de la presse. En voici quelques vers pris au hasard:
La plume se refuse à transcrire le tissu des sottes et abominables obscénités de cet ouvrage de ténèbres. Tout ce qu'on respecte le plus y est outragé autant que la rime, la raison, la poésie et la langue. On n'a jamais vu d'écrit ni si plat, ni si criminel; et c'est ce langage des halles qu'on a le front d'attribuer à l'auteur de la Henriade, contre lequel même on trouve dans le poème deux ou trois traits parmi tant d'autres qui attaquent grossièrement les plus honnêtes gens du monde. Ceux qui, trompés par le titre, ont acheté cette misérable rapsodie, ont conçu l'indignation qu'elle mérite. Si une telle horreur parvient jusqu'à vous, monsieur, elle excitera en vous les mêmes sentiments, et vous n'aurez pas de peine à les inspirer au public.