à Ferney par Geneve 28 octobre [1762]
Madame,
Monsieur le marquis des Marches m'assure que votre Altesse sérénissime daigne se souvenir de moy avec bonté.
Je partirais sur le champ avec luy pour venir vous en remercier, si mon âge et ma santé me permettaient un si agréable voiage. Il est vray que Monsieur des Marches m'a vu jouer un rôle de vieux grand prêtre sur mon petit téâtre de Ferney, mais j'aimerais mieux madame être vôtre aumônier à Carlesruh que d'être pontife à Babilone, comme je l'ay été aujourduy. Que notre petite trouppe ne peut elle avoir des spectateurs tels que votre altesse sérénissime? l'envie de luy plaire nous donneraient des talents. Nous sommes icy loin du bruit des armes dans le séjour de la philosofie: car la philosophie consiste à avoir du plaisir et à en donner. Je me flatte madame qu'on rendra justice à la famille infortunée des Calas dont l'horrible avanture a touché le cœur généreux de votre altesse sérénissime. L'affaire est au conseil du roy. J'espère que la cruauté et le fanatisme seront confondus, mais il faut bien du temps pour réparer les injustices qu'on fait trop vite. Permettez madame que je me mette aux pieds de Monseigneur le markgrave. Je suis avec un profond respect.
madame
de votre altesse sérénissime
le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire