1766-07-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Caroline Henrietta Christiana von Zweibrücken, landgravine of Hesse-Darmstadt.

Madame

M. Grimm, qui est attaché à votre altesse se, enhardit ma timidité.
Il me mande que je puis sans crainte m'adresser à elle et implorer ses bontez en faveur d'une famille aussi infortunée que celle des Calas. Je sçais madame que vous protégez la raison contre la tirannie de la superstition. Le fanatisme déshonore encor la nation française, c'est à l'Allemagne à luy donner des leçons et des exemples. Votre altesse a donné l'exemple de la compassion et de la générosité. Les Calas publient ses bienfaits et tous les sages vous applaudissent. Ceux qui ont entrepris la déffense des Sirven seront bien honorez s'ils peuvent madame compter votre nom respectable au premier rang de ceux qui encouragent leur zèle. Ce nom nous sera plus cher que les plus grands secours. Nous vous supplions de borner vos générositez. Si votre altesse daigne me faire adresser une marque de ses bontéz et de sa pitié pour les Sirven, cette famille cessera d'être malheureuse. Plus le fanatisme fait d'efforts contre la nature humaine, plus elle sera déffendue par votre belle âme. Jamais on n'a plus persécuté la raison et la vérité en France; la superstition employe les supplices et vous les bienfaits, c'est le combat des Grâces contre des monstres. Je me tiens heureux de pouvoir vous implorer.

Je suis avec le plus profond respect

Madame

de votre Altesse sérénissime

le très humble et très obéissant serviteur.

Voltaire gentilhome ord. de la chambre du roy