à Ferney 30 juin [1763]
Madame,
Une bonne âme a mis entre mes mains les libéralitez d'une grande âme.
Je ferai tenir incessamment à la famille infortunée des Calas les marques de votre générosité. Ce secours est un augure bien favorable pour le gain absolu de leur procez. On est sûr de la justice quand on est protégé par la vertu. Votre Altesse sérénissime n'a jamais fait que de belles actions. Tous les princes vos confrères ne vous imitent pas madame, ils donnent des batailles, ils les gagnent, ou ils les perdent, ils font des traittez ou dangereux ou utiles; mais secourir la vertu malheureuse, aller chercher dans le sein de l'opprobre et de la misère des inconnus persécutez, les honorer d'un bienfait considérable c'est ce qui n'apartient qu'à madame la duchesse de Gotha. On ose donner des fêtes à Paris, je ne sçais pas trop bien pourquoy. Il me semble que c'est aux Anglais et à certains princes d'Allemagne à donner des fêtes. Si votre altesse se peut se plaire aux petits objects qui marquent de l'humanité, je lui dirai que Jean Jaques Roussau, condamné dans la ville de Calvin pour avoir fait parler un vicaire savoiard, Jean Jaques qui s'était débourgeoisé de Geneve a trouvé des bourgeois qui ont pris son parti. Deux cent personnes parmi les quelles il y avait deux ou trois ministres ont présenté pour luy requête au magistrat. Nous savons bien qu'il n'est pas crétien, disent ils, mais nous voulons qu'il soit notre citoien. Voylà donc la tolérance établie. Dieu soit béni. C'est un exemple qu'on ne suivra pas à Rome, en Espagne, en Autriche. Que votre auguste famille me conserve ses bontez. Agrées madame mon profond respect.
V.