1766-08-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, landgrave of Hesse-Cassel.

Monseigneur,

Pourquoy mon âge et mes maux me réduisent ils à ne remercier Votre Altesse sérénissime qu'en luy écrivant?
Pourquoy sui-je privé de la consolation de vous faire ma cour? J'ay été pénétré au fond du cœur de voir en vous un prince philosophe. La justesse de votre esprit et la vérité de vos sentiments m'ont charmé. Votre façon de penser semble réparer les actions tiranniques que la superstition a fait commettre à tant de princes. Vous êtes éclairé et vous êtes beinfaisant. Que de princes ne sont ny l'un ny l'autre! Mais en récompense ils ont un confesseur, et ils gagnent le paradis en mangeant le vendredy pour deux cent écus de marée.

Votre altesse sérénissime m'a attaché à elle; je ne souhaitte de la santé que pour m'aller mettre à ses pieds. Je ne vais jamais à la ville de Calvin, mais je veux aller à la capitale d'un prince qui connaît Calvin, et qui le méprise. Puisse la nature m'en donner la force, comme elle m'en donne le désir.

Votre Altesse se m'a paru avoir envie de voir les livres nouvaux qui peuvent être dignes d'elle. Il en paraît un intitulé le Receuil nécessaire. Il y a surtout dans ce receuil un ouvrage de mylord Bolingbrooke qui m'a paru ce qu'on a jamais écrit de plus fort contre la superstition. Je crois qu'on le trouve à Francfort mais j'en ay un exemplaire broché que je luy enverrai si elle le souhaitte, soit par la poste soit par les chariots. Cette dernière voye est fort longue. L'autre est un peu coûteuse. J'attendray ses ordres.

Je suis, avec le plus profond respect et l'attachement le plus inviolable

Monseigneur

de votre Altesse sérénissime

le très humble et très obeissant serviteur

Voltaire