aux Délices 14 juillet [1760]
Madame,
Je suis comblé des grâces de votre altesse sérénissime.
Madame la comtesse de Bassevits me parait charmante. On n'écrit point à Versailles comme elle écrit dans son châtau vandale. Comment n'est elle pas à Gotha? comment avec tant de mérite peut elle être si éloignée de votre personne? Tout est à rebours dans ce meilleur des mondes possibles. Patience il faudra bien que les choses aillent mieux au lieu d'aller mal, et à force d'aller mal. Si la cousine avait voulu finir ses affaires cet hiver par un bon mariage, elle ne serait pas àprésent réduitte à faire un si mauvais ménage. Mais les mariages sont écrits dans le ciel. Vos hernutes madame, vos moraves sont de bonnes gens, et ne sont guères plus fous que les autres. Leur folie du moins est très douce, elle ne nuit à personne. Ils ne répandent point le sang humain, ils ne se soucient point de savoir à qui appartiendra la Silésie, et quel dédommagement on exigera pour la Saxe. Pour vu qu'on les laisse travailler en paix et aimer l'enfant Jesus, ils sont contents. Ils sont ignorants, ce qui est excellent pour des sots, car si jamais ils sont de sots savants, les voilà perdus.
Je commence à craindre madame pour le ballot que j'ay pris la liberté de faire partir à l'adresse de votre altesse sérénissime ne se soit perdu. Quand la guerre ne feroit autre chose que d'empêcher des livres de parvenir à leur destination, je la détesterais. Jugez madame combien je l'haborre, quand elle ruine tant de villes, et fait couler tant de sang. Je me mets aux pieds de Monseigneur, et de toutte votre auguste famille.
Je me mets surtout aux vôtres, je me recommande à la grande maitresse des cœurs, et je demande toujours les bontez de V. A. S. pour le suisse V.