aux Délices 26 may [1758]
Madame,
Le jour même que je reçus la lettre dont votre altesse sérénissime m'honora, j'exécutay ses ordres.
J'écrivis à Berne à un des principaux membres du conseil. On assembla incontinent la chambre des finances. Il se trouva madame que dans l'intervale de ma première lettre sur cette affaire, écritte à votre altesse sérénissime, et des ordres reçus d'elle en conséquence, la chambre des finances de Berne avait prêté à la ville de Bremen quatrevingt mille écus qu'elle avait à placer. V. A. Se voit que touttes les affaires de ce monde tiennent à bien peu de chose. Quinze jours plus tôt, l'affaire aurait eu un succez aisé et prompt. Je vais me tourner du côté de Genève. L'état n'est pas riche; il s'en faut bien, mais les particuliers le sont. Il est vray que ces particuliers ont en huit jours de temps placé quatre milions en rentes viagères à dix pour cent. Cependant il y a encor des citoyens qui se croiraient heureux de confier leur argent à la chambre des finances de vos altesses sérénissimes.
Pour donner madame un plus plein éclaircissement de la manière dont les genevois placent leur argent, je feray d'abord observer que dès qu'il y a un emprunt ouvert en rentes viagères en France les pères de famille y placent leur bien, soit sur leur tête, soit sur celle de leurs enfans. Quand il n'y a point de tels emprunts ils prêtent à Paris à terme à la caisse des fermiers généraux du royaume et retirent actuellement six pour cent de leur argent. Mais à la paix ils n'en retireront que cinq.
Puisse t'elle bientôt arriver cette paix si désirable pour les peuples et même pour les princes. La guerre ruine les grands et les petits pour enrichir ceux qui pillent les cours et les armées en les servant. L'Europe gémit, tandis que quelques entrepreneurs de vivres, ou de fourage ou d'hôpitaux s'engraissent du malheur public.
On dit que L'armée qu'on appelle de L'empire est morte d'inanition, et qu'il n'en reste rien, que la plus part des soldats sont retournez chez eux se faire laboureurs ou jardiniers. Je voudrais que tous les soldats du monde prissent ce party. La terre a plus besoin d'être cultivée que d'être ensanglantée. Je fais toujours des vœux madame pour le territoire de la Turinge. Si la félicité des peuples dépends des vertus des souverains, le pays de Gotha doit être le plus heureux de la terre. Je prends la liberté de présenter mon profond respect à Monseigneur le Duc, à toutte votre auguste famille. Je suis enchanté que la grande maitresse des cœurs se porte bien; je me mets aux pieds de votre Altesse sérénissime.
l'hermite suisse