1759-12-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame

J'ay reçu la lettre par la quelle votre altesse sérénissime daigne m'instruire que mademoiselle Pestris aprouve mes démarches auprès de son banquier.
Je crois qu'il ne tient qu'à luy de s'accomoder avec ses créanciers. Il m'a écrit par un correspondant. J'avoue madame que je ne m'entends point du tout à sortes d'affaires. Je ne fais que rapporter des paroles avec simplicité et fidélité pour le bien de deux ou trois familles. Je sçais que je ne suis qu'un pauvre laboureur qui cultive en paix quelques arpents, et qui est fort heureux de manger les fruits de ses terres. Les affaires de finance me sont aussi étrangères que celles de la guerre. J'ay actuellement environ deux lieues de pays à gouverner, et je ne conçois pas comment on en peut gouverner davantage par soy même. Mais il me semble que si les hommes étaient moins fous et moins méchants qu'ils ne sont, chacun cultiverait ses champs sans dévaster ceux de ses voisins. Je ne manquerai pas madame d'envoier par la première occasion aux pieds de votre altesse sérénissime, la copie de la nouvelle pièce que nous avons jouée dans un de mes petits hamaux. Grande maitresse des cœurs j'implore votre appuy, secourez moy auprès de madame la duchesse, et si je l'ennuie obtenez ma grâce.

Je souhaitte à vos altesses sérénissimes pour l'année 1760 l'éloignement de tout houzard, de tout pandour et de tout Kalmouk, un Bonheur tel que vous le méritez, et tous les avantages qui sont dus à votre auguste maison. Le peu d'années que j'ay encore à vivre seront consacrées madame à vous témoigner mon profond respect, et mon attachement inviolable.