aux Delices 8 xbre 1759
Madame
J'ay eu l'honneur d'écrire à mademoiselle de Pestris ou Pertrisà Gotha par Nuremberg.
J'ay peutêtre mal ortografié le nom et celuy de madame de Beckolsheim mais je me flatte que L'on aura suppléé à l'ignorance d'un pauvre habitant de la Suisse française, et que la lettre aura été rendüe. Elle était accompagnée madame d'un petit billet d'avis que j'eus l'honneur d'écrire à votre Altesse sérénissime touchant votre banquier de Leipzik, et son compte était dans une lettre jointe à ce billet d'avis. V.A.S. sait combien les temps sont difficiles. L'argent et les cœurs se resserrent quand la poudre à canon se dilatte. C'est une expérience de phisique qui n'est aujourduy que trop commune. Jay peur d'ailleurs que votre banquier madame n'ait eu trop de confiance et qu'il n'ait perdu le moment de s'accomoder avec ses créanciers, et j'avoue que je crains qu'un jour vous ne souffriez quelque perte de la faillitte à la quelle il est exposé, mais les affaires de votre auguste maison sont si bien réglées, votre prudence et celles de Monseigneur le duc les gouvernent avec une œconomie si sage, et en même temps si noble, que vos altesses sérénissimes ne peuvent souffrir baucoup des malheurs des particuliers. Pour les affaires publiques je ne sçais rien de nouvau depuis la perte qu'ont fait les français de leur vaisselle et de leurs flottes. Voylà de bons catholiques privez de morüe, leur carême, et n'ayant plus de castors pour couvrir leurs têtes qu'on disait légères, et qui sont àprésent appesanties. Je ne sçais rien de la position du Roi de Prusse depuis l'avanture de Moxen. J'ignore s'il est vray que les Russes rentrent en Silesie. Tout ce que je sçais, c'est que je voudrais que la grande maîtresse des cœurs, me présentât un matin à votre altesse sérénissime et mit à ses pieds son courtisan pénétré du plus profond respect.