à Mazères en Foie, ce 18 juin 1767
Madame,
Je supplie Votre Altesse sérénissime de me permettre de lui porter mes plaintes d'un outrage qu'on fait non seulement à ma réputation, mais encor à votre gloire & à celle de Monseigneur le duc de Saxe-Gotha.
M. de Voltaire, ou quelqu'un qui a pris son nom, vient d'adresser au public une lettre contre moi, où se trouvent ces paroles: J'atteste Monseigneur le duc & Madame la duchesse de Saxe-Gotha, que le Prédicant La Beaumelle s'enfuit de leur ville capitale avec une servante après un vol fait à la maitresse de cette servante. Et afin qu'on ne doute pas qu'il m'accuse d'après une confidence de Vos Altesses sérénissimes, d'avoir été réellement complice d'un vol, il ajoute, Je ne révélerois pas cette turpitude criminelle, si je n'y étois forcé.
Que mon ennemi eût débité de lui-même cette atrocité, je l'aurois peut-être méprisée. Mais dès qu'il ose vous en faire l'auteur, Madame, dès qu'il se sert d'un si auguste nom pour l'accréditer, il est impossible que je n'en sois vivement touché. Les souverains doivent justice aux particuliers: & je me flatte, Madame, qu'aucune considération n'empêchera votre cœur magnanime de me la rendre, sinon par un acte authentique, du moins par une lettre consolante, quand même il ne s'agiroit pas ici d'une justice que vous vous devez à vous-même, Madame, puisqu'on vous calomnie pour me calomnier avec plus de succès.
Je suis avec un très profond Respect,
Madame,
de Votre Altesse sérénissime
Le très humble & très obéissant serviteur
de La Beaumelle, seigneur de la Ville & Châtellenie du Foie