1761-12-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

La grande maitresse des cœurs dira peut être à vôtre Altesse sérénissime que les yeux ne se trouvent point bien du tout des vents du nord et de la neige.
Elle demandera grâce pour moi si je ne vous écris pas de ma main.

V: A: S: passe donc continuellement en revue des Prussiens et des Français. Vôtre palais ressemble à la maison de Polemon, du roman de Cassandre, dans laquelle les héros des deux partis se trouvent tous sans sçavoir pourquoi. S'ils y venaient uniquement pour vous faire leur cour, et pour apprendre ce que c'est que la raison ornée des grâces je n'aurais pas de reproches à leur faire.

J'ai mille grâces à rendre à V: A: S: du paquet de madame de Bassevitz. Je voudrais que cette dame s'amusât à faire des mémoires de tout ce qu'elle a vu, et de tout ce qu'elle voit, car il me paraît qu'elle voit tout très bien, et qu'elle écrit de même. Il faut qu'elle aime bien son château pour y rester exposée aux visites des Prussiens, des Hanovriens, et des Russes. Si les choses de ce monde allaient d'une manière un peu plus honnête, nous devrions être à vos pieds Madame de Bassevitz et moi. Ce n'est pas que je me pleigne de ma position; elle est assurément très agréable, mais elle est trop éloignée de la belle forêt de Thuringe.

Si vous aimez les sermons Madame, en voici un qu'on vient de m'envoyer de Smirne, et qui poura vous édifier. Si vous étiez Reine de Portugal, je ne prendrais pas cette liberté; mais une Duchesse de Saxe philosophe, peut très bien lire le sermon d'un Rabin, sans scandale.

Je me mets aux pieds de vos altesses sérénissimes avec le plus profond respect.

le Suisse V.