1752-08-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Eugene von Württemberg, duke of Württemberg.

Monseigneur,

Votre altesse sérénissime excusera sans doute la liberté et la singularité de ma lettre, puisque je ne fais que remplir les intentions d'une personne qui ayant des terres près de Montbelliar, et voulant s'y retirer, m'a chargé de savoir si votre altesse sérénissime daignerait agréer ses propositions.
Elle s'est flattée que ce ne serait pas un désavantage pour vous de vouloir bien accepter une somme de quarante mille écus d'Allemagne dont V.A.S. luy ferait une petite rente Pendant la vie de son père et la sienne. Elle a quarante ans, son père en a soixante. Si V.A.s. acceptait cette proposition elle assignerait le payement annuel sur les terres auprès de sa principauté de Montbelliard, ce serait une affaire qui se concluerait à la réception de vos ordres. On prendrait tel denier que V. a. séme prescrirait, s'en remettant à votre générosité et à votre justice. Comme on m'a demandé le secret j'ay pensé que je devais avoir la hardiesse de m'adresser directement à votre personne, et de ne point chercher d'autre protecteur que vous même, auprès de vous. Je sens bien, qu'une telle offre est peu convenable à un grand prince, mais je m'aquitte de L'ordre qu'on m'a donné, et j'ose même supplier V. A. Sénime de daigner m'honorer d'une réponse avant le premier de septembre. L'argent est tout prest, un banquier de Berlin délivrerait les quarante mille écus en or à votre ministre autorizé. On a de son côté tous les pouvoirs nécessaires, et cette petite négociation serait achevée avec autant de promtitude que de secret.

En cas que votre altesse sérénissime fasse cette grâce j'ose présumer que Le denier de huit pour cent sur les deux têtes poura être convenable, ou bien dix pour cent sur la tête du père qui est infirme et six sur celle de la fille; mais en même temps j'ay tout lieu de croire que vos ordres, quelqu'ils soient, seront des loix reçues avec soumission. Je conjure votre altesse sérme de me pardonner une telle liberté. Si elle avait le malheur de vous déplaire je suis bien sûr que vous ne m'en puniriez pas en disant le secret qu'on m'a confié, et que ma respectueuse confiance met entre vos mains. Je n'en ay pas parlé à Monseigneur le prince Louis votre frère. Je n'attends vos ordres que de votre seule bonté.

Je suis avec le plus profond respect,

Monseigneur,

de votre altesse sérénissime,

le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire

J'attendray ses ordres à Potsdam.