1758-08-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Je reçus en partant de la cour palatine, la lettre par la quelle votre Altesse se daignait m'apprendre que son affaire était presque finie avec le genèvois Labat nouvau Baron de Grancour.
Je suis sensiblement affligé que les descendants d'Albert le dépravé aient eu besoin du Genèvois Labat, mais je me tiens le plus heureux des hommes d'avoir reçu des ordres de vos altesses ses dans cette occasion. Si les horreurs de la guerre continuent, s'il y a quelque autre moyen de prouver mon zèle et mon attachement à la plus digne princesse que j'aye jamais vüe, je serai toujours tout prest tant que j'aurai un reste de vie. Si j'avais été en Angleterre ou en Hollande je me serais vu à portée de procurer des sommes plus considérables, et probablement à un meilleur prix. Je tremble toujours madame que la guerre n'approche de vos terres et ne ravage encor ce qui reste de Troye. Il parait que le party est pris d'armer touttes les aigles, tous les vautours, tous les faucons contre l'aigle des anciens alains et vandales. Moy qui suis un pauvre vieux pigeon je m'en retourne à mon colombier et je vais redoubler mes gémissements, et mes vœux pour la paix publique. Il paraît qu'en général tous les peuples et baucoup de princes sont bien las de cette guerre où il y a tant à perdre et rien à gagner. Je ne sçais madame aucune nouvelle depuis que j'ay quitté la cour palatine. S'il se passait quelque chose dans vos quartiers je supplie Votre altesse se de daigner m'en faire donner part. L'intérest que je prends à tout ce qui arrive dans le voisinage de ses états autorize cette liberté. J'ay eu l'honneur de voir à Shwetzingen Mgrs les princes de Meklembourg qui m'ont paru très aimables et très bien élevez. Que vont ils faire à Geneve? ce n'est pas là qu'ils aprendront le métier des armes au quel ils se destinent. On ne conait dans ce pays là que des disputes très paisibles de sociniens, disputes dont tout prince s'embarasse fort peu. Je vais porter madame dans ce séjour tranquile mon respect pour votre altesse, pour toutte votre auguste maison, et mon éternel attachement.

le suisse V.