1754-07-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

En arrivant à Colmar j'ay trouvé deux choses charmantes de votre altesse sérénissime, votre lettre du 13 juillet et votre portrait.
Je leur ay fait ce que je faisais au bas de votre robe quand j'avais l'honneur d'être à Gotha. Mais pourquoy madame mettre des ornements à des choses qui sont par elles mêmes si prétieuses? Votre altesse se me remplit de confusion comme de reconnaissance. Je devrais venir la remercier sur le champ à Gotha ou à Altembourg. Elle sait quel est mon empressement, elle sait que je n'ay point d'autre désir. Je suis revenu bien malade dans mon petit territoire de Colmar. Cette nièce que vous daignez honorer de vos bontez m'a accompagné et me sert de Garde malade. Elle se met à vos pieds madame. Tout ce qu'elle sait de votre auguste personne redouble encor sa sensibilité et son respect. Savez vous madame qu'on m'écrit de plus d'un endroit pour me parler de la santé de madame de Bukwal? On n'ignore pasà quel point je luy suis attaché. Hélas madame, ma dernière lettre de Plombieres prévenait la vôtre. Je m'attendrissais sur le sort d'une personne si digne de vous. Puissai-je apprendre bientôt son rétablissement.

Ce que votre altesse sérénissime me dit d'une certaine personne qui se sert du mot de rappeler ne me convient guères. Ce n'est qu'auprès de vous, madame, que je puisse jamais être appelé par mon cœur. Il est vray que c'est là ce qui m'avait conduit auprès de la personne en question. Je luy ay sacrifié mon temps et ma fortune, je luy ay servi de maître pendant trois ans, je luy ay donné des leçons de bouche et par écrit tous les jours dans les choses de mon métier. Un tartare, un arabe du désert ne m'aurait pas donné une si cruelle récompense. Ma pauvre nièce qui est encor malade des atrocitez qu'elle a essuiées, est un témoignage bien funeste contre luy. Il est inoui qu'on ait jamais traitté ainsi la fille d'un gentilhome, et la veuve d'un gentilhomme, d'un officier des armées du Roy de France; et j'ose le dire, une femme très respectable par elle même et qui a dans l'Europe des amis. Si le roy de Prusse connaissait la véritable gloire, il aurait réparé l'action infâme qu'on a faitte en son nom. Je demande pardon à V. a. s. de luy parler de cette triste affaire, mais la bonté qu'elle a de s'intéresser au sort de ma nièce me rappelle tout ce qu'elle a soufert.

Je m'imagine que V. a. s. est actuellement dans son palais d'Altembourg avec monseigneur et les princes ses enfans. Je me mets à vos pieds et aux leurs.

On m'a envoyé de Berlin une relation moitié vers et moitié prose du voiage de Maupertuis et d'un nommé Cogolin. Ce n'est pas un chef d'œuvre.

Recevez madame mes profonds respects et ma vive reconnaissance.