1753-05-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.
Je suis comme tous vos sujets,
Je vous respecte et vous adore.
O destin, o Dieux que j'implore,
Quels seront pour moy désormais
Les jours que vous ferez éclore?
Dieux! le plus cher de mes projects,
Est de pouvoir luy dire encore,
Je suis comme tous vos sujets,
Je vous respecte, et vous adore.

Madame, Ma figure souffrante et ambulante est à Vabern près de Cassel chez Monseigneur le landgrave, et mon âme est à Gotha, elle est à vos pieds, elle y sera tant que je respirerai. J'ay bien peur que vos altesses Sérénissimes ne m'aient rendu malheureux pour le reste de ma vie. Je leur pardonne de tout mon cœur. Ce n'est pas mauvaise intention de leur part, mais en vérité elles devaient songer en me comblant de tant de bontez, en me faissant mener une vie si délicieuse, qu'elles me préparaient d'éternels regrets. Où pourai-je vivre doresnavant madame, après avoir passé un mois entiers à vos pieds? Croyez vous qu'en quittant votre palais le séjour de Plombieres me sera bien agréable? Ce serait des eaux du Léthé qu'il me faudrait. Je prévois madame que je n'aurai autre chose à faire qu'à revenir faire ma cour à vos altesses Sersses. J'ay été dans le temple des grâces, de la raison, de l'esprit, de la bienfaisance, et de la paix. Je retourneray dans ce temple, il n'y aura pas moyen d'aller vivre avec des profanes.

Je me mets aux pieds de Monseigneur Le Duc, et de toutte votre auguste famille. Quand pourai-je revoir ce que j'ay vu, et entendre encor ce que j'ay entendu? Je pars pour Plombieres cependant madame. J'obéis aux deux plus terribles médecins que je connaisse, et j'auray l'honneur de renouveller à vos altesses sérénissimes Les témoignages d'un respect, d'un attachement, et d'une reconnaissance qui ne finiront qu'avec la vie de V…à qui le papier manque.