1772-07-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

'J'en appelle aux étrangers qui ont poussé les hauts cris, qui ont répété après des Français, que nous étions une nation frivole qui savait rouer et ne savait pas combattre.
Qui a donné le plus grand scandale ou un enfant indiscret, ou des juges qui le font périr dans les plus affreux supplices? La mort de l'infortuné chevalier de la Barre est un bien plus grand crime que celle de Calas; au moins dans celle-ci, un juge peut alléguer d'avoir été séduit par des présomptions, et par le cri public; dans celle là, c'est une indécence punie comme le prétendu parricide de Toulouse.

Obscurs fanatiques, qui du fond de vos tanières où vous rongez les os, et sucez le sang des sages, apprenez à l'univers que vous êtes les colonnes des mœurs et du culte; phraseurs mitrés ou sans mitres, avec un capuchon ou sans capuchon, quand cesserez vous de faire des homélies sur la charité, pour apprendre que c'est au savant d'instruire, et non pas au bourreau?'

Voilà, mon cher philosophe, ce qui a été prononcé à Cassel le 8 avril en présence de monsieur le landgrave, de six princes de l'empire, et de la plus nombreuse assemblée, par un professeur en histoire que j'ai donné à m. le landgrave. J'espère qu'il ne lui arrivera pas la même chose qu'à l'abbé Audra. On peut chez vous faire pendre des philosophes, mais la philosophie subsistera toujours.

Virtutem videant intabescantque relicta.

Mr Marmontel vous a t-il montré les systèmes? Quel profane a si cruellement estropié les Cabales? C'était un bizarre effet de la destinée qui préside au petit comme au grand, qu'on travaillât en même temps à Paris et à Ferney au sujet des druides sous des noms différents, et qu'on fît les mêmes difficultés à ces deux ouvrages. Il faut que les Français écrivent, et que l'étranger les imprime. Le parti est pris d'écraser les lettres; tenez vous bien.

Adieu, Platon, vivez chez vos barbares.

V.