1753-08-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à William VIII, landgrave of Hesse-Cassel.

Monseigneur,

Votre altesse sérénissime m'a recommandé de lui apprendre la suite de l'aventure odieuse de Francfort.
Le roi de Prusse l'a fait désavouer par son envoyé en France. Cependant le brigandage exercé par Freitag, qui se dit ministre du roi de Prusse à Francfort, n'a pas encore été réparé, les effets volés n'ont point été restitués, & on n'a point rendu encore l'argent qu'on avait pris dans nos poches. Il ne faut point de formalités pour voler, & il en faut pour restituer. Il y a grande apparence que le conseil de la ville de Francfort ne voudra pas se couvrir d'opprobre; & on doit espérer que le roi de Prusse fera justice du malheureux qui, pour se faire valoir d'un côté auprès de son maître, & de l'autre pour dépouiller des étrangers, a commis des violences si atroces. Il aurait peut-être fallu être sur les lieux pour obtenir une justice plus prompte. Voilà en partie pourquoi j'avais eu dessein de passer quelques semaines à Hunau. Mais ma santé, & les bontés de ma cour m'ont rappelé en France. Et je compte y retourner après avoir profité quelque temps des agréments de la cour de Manheim, dont je jouis sans oublier ceux de la vôtre. Je serai pénétré toute ma vie, monseigneur, des bontés dont votre altesse sérénissime m'a honoré depuis que j'ai eu l'honneur de lui faire ma cour à Paris. Si j'étais plus jeune, je me flatterais de pouvoir encore venir me mettre à ses pieds. Mais si je n'ai pas cette consolation, j'aurai du moins celle de penser que vous me conserverez votre bienveillance, & je serai attaché à votre altesse sérénissime jusqu'au dernier moment de ma vie avec le plus profond respect & le plus tendre dévouement.

Voltaire