1769-07-30, de Marie Louise Denis à Voltaire [François Marie Arouet].

Je suis confondue Mon cher ami de tout ce que vous me dites.
Il y a près de quatre mois que je n'ai vu la personne dont vous me parlez. J'ai beaucoup discuté tout cela avec les anges. Ils sont Comme vous et moi, ils sentent le danger qu'il y aurait d'éclater d'autant que dans les commencemens que ce livre a paru vous avez pris la chose fort légèrement. Il y a plusieurs lettres de vous dans le public, entre autre une de l'abbé Morlet, une à Marin et à d'autres. Vous dites que le livre est bien fait, quoi qu'il ne soit pas de vous vous ne vous reconnoissez point volé. Nous sentons bien que c'est que vous n'avez point fait encor la revue de vos papiers, mais le public n'entrerait point dans ces discusions. L'homme en question a peu d'amis, mais la compassion s'en mêlerait. De plus il se deffendrait et comme vous dîtes on dirait, C'est donc vous puisque vous vous avoué volé. Il faut ce taire et nier comme de raison puisque personne n'est plus Convincu que moi que vous n'avez nulle part à ce livre. Vous n'êtes même pas instruit. Ce n'est pas Marc Michel Rhée qui l'a imprimé. Je sçai cela de Mr Marin, qui a dû ou qui doit vous le mender. Ce livre a été imprimé en Angletaire. Les exemplaires qui sont à Paris vienent tous de ce païs là. Quand on le veut on le fait venir d'Engletaire, et il Commence a être bien prouvé qu'il a été imprimé en Engletaire. Du reste comme il y en a très peu d'exemplaires à Paris on comence a n'en plus parler. Si l'auteur quel qu'il soit pouvait retoucher les derniers chapitres, et surtout un qu'il faudrait refaire en entier (car tout Paris s'accorde à dire qu'il est plain d'erreur), ce serait à mon avis un fort bon ouvrage, et très util au bien public. Comme je leur dit sans cesse, Comment ne voit on pas que vous ne pouvez avoir fait ce chapitre? Qu'on ouvre l'histoire de Louis 15 on le trouvera fait de façon que je deffie à personne de le faire aussi bien. Mon neveu est à la campagne, il revient demain ou après. Je lui montrerai vos lettres avant son départ. Mon cher ami je lui parlai de la succession de Guize. Il me dit qu'il ne pouvait faire aucune perquisitions par ce qu'il n'avait point de titre. Je lui demandai s'il n'y aurait pas moien d'avoir des déléguations sur des fermiers. Il me répondit qu'il avait déjà fait cette proposition à l'abbé Blette mais qu'il n'y avait point de fermiers, que s'était un régisseur, qui pouvait toujours dire qu'il n'avait point d'argeant et que cela ne ferait que des discussions très embarassantes, et que si l'on opère par justisse ce sera une affaire de dix ans et peut être plus. Il faut encor attendre une réponce de l'abbé Blette et ensuite nous vous demanderons ce que vous voulez faire.

Apropos les anges et moi nous nous renversons la teste pour sçavoir comment il est possible qu'on vous ait volé à vous, des lettres que vous écrivez à d'autres. Esce que vous faites des doubles copie des lettres que vous écrivez et les guardez vous? Ces lettres à ce qui nous semble ne peuvent avoir été vollées qu'aux gens à qui vous les avez écrites. Expliquez nous cette énigme. A l'éguard de celles que vous m'écriviez à Berlin cela est tout simple, et les mémoires sur l'histoire cela n'est que trop possible et nous le comprenons fort bien.

Les Guebres sont imprimés depuis huit ou dix jours. Plusieurs personnes m'en ont parlé et je n'en ai entendu dire que beaucoup de bien. Tout le monde dit qu'elle est de vous. C'est Lacombe qui l'a imprimé. Je voudrais que cela fût joué. Vous avez bien raison, on ne connait bien une pièce que lors qu'elle est sur les planches. Apropos ma soeur fait bâtir un théâtre à Hornois. Ils jouent la comédie tous les autonnes. Dhornois aime passionément cet amusement. Il la joue, et la joue fort bien. C'est une maladie de famille.

J'attands une réponce de Mr de Laborde qui m'intéresse fort. C'est un peti service qu'il me rand comme de lui même où personne ne sera compromis. Faites moi un plaisir. Ecrivez à Mr Dargental qu'il enguage Mr le duc Daumond qui sera d'année à faire jouer Pandore pour le mariage de Mr le dauphin. Vous me direz, que ne lui dites vous? Je lui ai dit mille fois. Il croit apparament que vous ne vous en soussiez pas et n'en parle point. On demande à Mr Daumond qu'il donne la permition à Laborde de faire demender Pandore par une belle dame, ce que Laborde ne fera pas sans l'attache de Mr d'Aumond, ne voulant pas lui déplaire. Moienant cela si l'ouvrage ne réussit pas cela ne retombera pas sur Mr Daumond. Il ne veut point donner de nouvauté au mariage craignant de se tromper sur les ouvrages qu'il choisirait. Ne perdez pas un moment pour écrir à Dargental car il croit que tout cela vient de moi pour rendre service à Laborde et que vous ne vous en soussiez pas. Vous lui avez randu un très grand service en lui prètand de l'argeant et il en est très reconnoissant.

Je viens de voir un docteur Goodheart. Michon fait là encor une rude préparation pour son voiage. Ah quel homme que ce Michon! Je ne peux lui parler de rien d'ici à quelque jours. S'il voulait bien profiter des gens qui vont et qui vienent pour m'écrire à coeur ouvert comme je fais toujours je lui serais très obbligée. J'espère que Desfranges par le six. Je lui donnerai une lettre pour vous. Adieu Mon cher ami. Je vous embrasse tendrement. Je meurs d'envie de vous voir et je vous aime de tout mon coeur.