1769-09-11, de Marie Louise Denis à Pierre Michel Hennin.

Je ne peux vous exprimer Monsieur à quel point je suis sensible à votre amitié.
J'ai vercé des larmes en lisant votre lettre. Je vous ai la plus grande obligation de votre bonne volonté. Je voudrais de tout mon coeur qu'il voulût consentir que je prisse un appartement à la résidance. Je serais trop heureuse, et si jamais vous trouviez le moien de l'y faire consentir je partirais dans l'instant.

Mais on ne connais point le patron. Il ne m'a jamais dit partez. Il m'a bien dit nous passerons l'hyver ensemble, mais en même temps il m'a fait présantir qu'il voudrait me venir trouver ici. Je sçai même qu'il frape à une porte, et si je partais dans ces entrefaites il me reprocherait de l'avoir empêché de réussir. Il me marque dans toutes ses lettres surtout ne prenez aucun parti avant le mois de 9bre, cela est de la première importance. Je vous avoue que lors que j'ai vu cela je me suis mise aussi de la partie et que j'espère que j'y parviendrai. Dans un autre temps je ne l'aurais pas souhaité mais sa maison est remplie de gens si atroces qu'il est apsolument nécessaire de la balaier, et jamais on n'en viendra àbout qu'and l'en fesant sortir. Car il tient prodigieusement aux deux coquins qui l'entourent. Heureusement que la crainte de la justice les empêcheront de le suivre.

Vous connoissez le jesuite et je ne vous en parle point. Mais il s'en faut bien que l'on connaisse l'autre. C'est un homme capable de tout. Dites je vous prie Monsieur à mr Dupuits de vous montrer la dernière lettre que je lui ai écrite. Recommandez lui le secret. Vous en sentirez la conséquence, mais il est nécessaire que vous sachiez tout. Vous êtes notre directeur. Soiez sûr que si l'on disait au patron de quoi il s'agit non seulement il ne voudrait pas le croire mais il redoublerait de tendresse pour cet homme et nous sacrifiroit tous pour lui. Mon frère et mon neveu qui assurément sont bien intéressés que je retourne m'ont dit qu'ils auroient le dernier mépris pour moi si je m'etais le pied dans le château tant que ce marot là y serait. C'est eux qui ont découvert le pot au noir et qui m'en ont averti. C'est à dire que c'est une personne de leurs amis devant qui cela s'est passé qu'ils m'ont envoié pour m'éclairer. Cependand il ne faut pas encor que le patron sache ou nous serions tous trois perdus, et nous ne guagnerions rien. Mais je m'appersois que vous ne comprandriez pas ma lettre si je ne vous disais le fait. Ce gualant homme a empoisonné son père. La famille qui a craint qu'il ne fût brûlé et qui avait de reste des sugets de quoi le faire enfermer et même de quoi le faire pendre, a obtenu une lettre de cachet, et a pris toutes les précautions possible pour étoufer l'histoire du poison. On a tiré d'affaire le père qu'à force de contre-poison. Il en a été très mal pendand trois mois. On a fait taire domestiques et médecins, et mme de Sovigni a dit à mon frère que quoi qu'il n'y ait rien de si vrai, elle ne se serviroit jamais de ce fait contre son frère et qu'el voulait qu'il fût enseveli. Il faut vous dire que cet homme a un laboratoire chez le patron, qu'il fait des drogues toutte la journée. Ce qui me rassure pour le patron, c'est qu'il a intérêt de le conserver. Mais il en a beaucoup à me faire du mal et je crains fort ses boaillons. Il est donc indispensable de tirer le patron de là à quel que prix que ce soit. Voilà Monsieur où j'en suis.

Je crois que vous faites très bien de vous détacher de ce prétendu mariage. C'est un état bien pénible et bien dur que d'avoir des parans déresonables. Vous êtes heureux, vous avez des amis, une jollie plasse. Vous trouverez quand vous voudrez une fille bien élevée avec un bien convenable, et vous ménerez une vie agréable à Geneve. Pour moi j'espère toujours que j'y finirai mes jours. Je comte sur votre amitié. Plus je vois en avant plus je sens combien elle m'est précieuse. Je vous serai attachée pour la vie. J'aime aussi mes deux enfans tendrement. Ils ont un bon coeur, ils sont honestes et aimables. Ce sont là les liens qui font le bonheur de la vieillesse. Je vous manderai exactement ce qui se passera et si je pourai venir à bout de mon proget. Adieu Monsieur, ne doutez pas des tendres sentimens avec les quels j'ai l'honneur d'être Votre très humble et très obbéissente servante

D.