ce 31 juillet 1751
Vous êtes trop aimable Monsieur de me désirer quelque fois dans votre jolie habitation; vos deux lettres m'ont fait un plaisir extrême, vous daignez vous ressouvenir d'une femme qui vous regrete et qui désireroit fort de partager avec vous les plaisirs tranquils de la campagne.
Ne vous fâchez point contre votre maison, quand vous l'abiterez on la trouvera charmente; pour moi je la trouve si agréable sans l'avoir vue que je vous prie en grâce de nous en chercher une qui soit voisine de la vôtre: je n'abandonne point mon proget, et je veux vivre avec l'oncle près de vous. Cet oncle me tracasse toujours, il m'avoit promis d'être icy au mois de 7bre et il me parle actuellement du mois de janvier; je me fâche tout de bon, Mr de Richelieu se met de la partie, je vais lui envoier un expres et des lettres écrites de bon ancre, enfin nous voulons qu'il soit icy au mois d’8bre. Aprospos mes Conseils sur Orelie ont été assez mal pris; on m'as dit avec toute la politesse possible que je n'avois pas le sang comun. Comme j'écris deux fois la semaine et que les réponces sont fort longues à venir, j'ai encor écrit une seconde lettre sur Orelie avant d'avoir la première réponce, où je déploie mes idées avec bien plus de force. Car je fesois un plan suivi du Rôle; pour lors on a changé de ton, on ne m'a fait que des obgektions foibles. Il y a beaucoup de choses que l'on a adopté, on m'a remercié en me disant qu'on songeroit presqu'autant à ce plan qu'à moi et que c'est caver au plus fort. Mais je lui ai signifié qu'on ne jouroit jamais Romme sçauvée qu'en sa présence, que Mr de Richelieu étoit dans cette résolution, et que s'il restoit dix ans en Prusse on seroit dix ans sans jouer la pièce. J'espère que cet expédian le fera venir. Dargental est venu me voir aujourdui, je lui ai parlé de tous mes progets, et il est convenu que j'avais eu grande raison de ne point faire jouer Rome sçauvée, et que tout ce que je fesais étoit fort sancé; je lui sçai gré après tout ce qui s'est passé d'avoir eu la force de me faire cet aveu. J'ai vu aujourdui Mr de Richelieu, il espère venir àbout de Mahomet, j'en suis on ne peut plus contante. Il entre dans-toutes mes vues et me sert à merveille. Je vous conte tous ces fagots là par ce que je crois que vous voulez bien vous y intéresser; la bonne Francoeuil se porte tout au mieux, je l'ai vue il y a deux jours. Notre grand abbé vient souvent me voir, nous parlons de vous, et il est toujours fâché nompas contre vous mais contre votre terre. Je suis actuelement de son avis, puisqu'elle m'éloigne de vous. Chimene se désole de votre départ, je soupais il y a quatre jours chez sa mère, et il disoit, que nous serions heureux si Mr de Sideville étoit là. Assurément on ne dira pas que c'est le raport des caractères qui vous a liez tous deux d'amitié, mais c'est le vôtre joint à tous les agrémens de votre esprit qui m'attacheront à vous pour ma vie.
Denis