1764-12-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Michel Paul Guy de Chabanon.

Si on était sûr, Monsieur, d'avoir après sa mort des panégiristes tels que vous, il y aurait bien du plaisir à mourir. Vous faittes de toute façon honneur aux beaux arts. Je vois une belle âme dans tout ce que vous faittes. Si tous les gens de Lettres pensaient comme vous, leur état deviendrait le premier du royaume, et leurs persécuteurs seraient dans la fange. Continuez à rendre honorable un mérite personnel que l'insolence des pédants, et la fureur des fanatiques voudront enfin avilir. Les grands artistes doivent être tous frères, et si la famille de ces frères est unie, la famille des sots sera confondue. Nos pères ignorants, légers et barbares, ne connaissaient avant Lully que les vingt quatre violons du roi, et avant Corneille le Cardinal de Richelieu avait à ses gages quatre poëtes du pont neuf, dignes de travailler sous ses ordres. Il n'y a que les cœurs sensibles et les esprits philosophes qui rendent justice aux vrais talents. Puisse cet esprit philosophique germer dans la nation. Après l'éloge que vous avez fait de Rameau je ferai toujours le vôtre; vous m'inspirez un sentiment d'estime qui approche bien de l'amitié; j'ose vous demander la vôtre, les sentiments que j'ai pour vous la méritent. Comptez que c'est du meilleur de mon cœur et sans compliments que j'ai l'honneur d'être, Monsieur, vôtre très humble et très obéïssant serviteur.

V.