1755-11-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Je vous supplie mon cher correspondant de songer que vous n'avez point de navets dans votre potager, et puisque vous y envoiez un jardinier je me flatte que vous ferez enfin connaître les navets à vos compatriotes qui ne connaissent que les raves.
La lavande avait été apparemment mal plantée. Elle n'est point venue dans votre maudit terrain. Le thin, la marjolaine ont dit aussi qu'elles ne croîtraient pas. J'espère que votre nouvau jardinier sera plus heureux parce qu'il sera plus habile. Si vous avez, ou si vous pouvez trouver des graines en tout genre, daignez en envoier la plus ample provision. Il est bien cruel de planter toujours, et de n'avoir ny navets ny ognons. Il faut cependant avouer que nous ne manquons ny d'artichauds ny de cardons. Mais c'est presque toutte notre consolation. Voicy une lettre qui a l'air d'être adressée à un grand bostangi, mais pour illustrer un peu notre correspondance je joints au mémoire des ognons et des navets deux petites lettres de change de Cadix, que je vous prie de mettre sur votre agenda.

D'icy à quelque temps mon cher monsieur je ne tirerai d'argent sur vous, parce que d'un côté monsieur de Labat s'est chargé d'environ 24mlt qu'il payera à mr Cathala à mesure que je tire de l'argent sur monsieur Cathala, et de l'autre côté mr Gran, banquier de Lausanne, a quelque argent à moy pour les dépenses de Monrion.

Je crois qu'il est bon que je réserve entre vos mains un petit capital dont je puisse disposer et qui ne soit pas infructueux. Je suis acoutumé à des malheurs de toutte espèce, et en cas d'accident il faut avoir un fonds tout prest pour servir d'antidote aux poisons de la vie.

Je vous embrasse de tout mon cœur. Madame Denis en fait tout autant.

V.