1755-11-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

J'ay écrità monsieur de la Marche mon cher monsieur, et je l'ay bien tendrement remercié des bontez dont il vous a fait confidence pour moy.
J'ay reçu vos nouvaux bienfaits en caffé et en ognons. Si vous nous envoyez du vin, il faudra donc que Monsieur Cathala ait la bonté de nous le garder chez luy, et de faire remplir les tonnaux. Nous l'en supplierons, et nous vous prierons de vouloir bien l'en charger. Car nous comptons aller incessamment à Monrion pour tout l'hiver. Me voylà àprésent avec quatre jardiniers, sans pouvoir encor parvenir à faire un jardin. J'espère pourtant venir à bout d'établir la réputation des Délices. Elles sont actuellement couvertes de neige. Elles seront à mon retour couvertes de fleurs et de fruits, en état de vous recevoir.

Madame Denis vous importune aussi et prend des libertez. Elle voudrait une demi douzaine de bouteilles de la meilleure eau de lavande, quelques bons sachets de Montpellier qui embaument les Délices, et deux bouteilles d'eau de fleur d'orange. Vous direz que nous sommes des importuns bien voluptueux, mais vous nous pardonerez. Est il vrai que les jésuites ont élu un de leurs pères Roy du Paraguai? et que ce Roy s'appelle Nicolas? Un damné d'hérétique a fait des vers à l'honneur de ce nouveau roy, les voicy:

Du bon Nicolas premier,
Le ciel bénisse l'empire,
Et qu'il luy daigne octroier
Ainsi qu'à son ordre entier
La couronne du martire.

On dit que les anglais ont été huit jours complets sans prendre de nos vaissaux, est il possible? Cadix va bien mal. Je vous embrasse de tout mon cœur.

V.