aux Délices près de Geneve 2 avril 1755
Quoy monsieur! à peine je désire des graines, que vous avez la bonté de m'en envoier! on n'a pas le temps de désirer avec vous.
Votre vin de Serriere sera le très bien venu puisque vous croiez que je vivray trois ans pour le boire. Toutte votre respectable famille que j'aime tendrement sort de chez moy dans l'instant. Nous avons joué presque toutte la pièce de Zaire devant les Tronchins et les sindics. C'est un auditoire à qui nous avions grande envie de plaire. Calvin ne se doutait pas que des catholiques feraient un jour pleurer des huguenots dans le territoire de Geneve. Le fameux acteur le Kein qui nous est venu voir nous a bien aidez, il a plus de sentiment que de voix. made Denis a lu Zaïre à merveille, et j'ay fait le bonhomme Lusignan. Cependant nous n'abandonnons pas les ouvrages de nos Délices. Nous plantons, nous semons, nous bâtissons sans relâche. Touttes vos graines de fluers sont en terre. Les légumes y seront demain. J'espère que vos fleurs et vos fruits prospéreront dans votre terrain. J'ay peur d'avoir un peu excédé dans mes dépenses la somme que vous aviez à moy en réserve. Mais je vais tirer sur Mr de la Leu par mr Cathala, et nous avons en may une bonne ressource dans M. de Montmartel. Il nous vient encor un renfort d'Alzace par M. de Turkeim. Ainsi nous pouvons sans scrupule embellir Les Délices. En vérité tout y manquait jusqu'à une bassecourt. Les détails sont immenses. J'ay deux maîtres jardiniers, vingt ouvriers, douze domestiques. Si nous fondons Cartage made Denis et moy nous nous flattons bien de n'y être pas brûlez. Adieu Monsieur, aimez toujours les deux hermites qui vous sont si tendrement dévouez.
V.