1755-03-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Je reçois, Monsieur, vos lettres du 24 et du 26 mars.
En vérité vous étes bien bon de me pardonner mes demandes indiscrètes pour des harnois et de l'eau de lavande. A l'égard des harnois Dieu merci, vous en voilà quitte; les ouvriers de Genêve ont daigné travailler pour moi.

Grand merci de la lavande; je vous promet d'en faire planter dans toutes les bordures de vos potagers. Je vous ai déjà fait planter 250 arbres; je vous ai fait percer des avenues, je vous fais bâtir une petite aîle. Votre maison n'était qu'agréable et je la rendrai commode: je veux que tous les Tronchins nés et à naître, puissent y loger à leur aise.

Voilà donc les Anglais qui vont prendre nos vaisseaux, si cela est, je renvoie mes maçons et mes charpentiers. Pourquoi deux nations commerçantes se font-elles la guerre? elles y perdent l'une et l'autre. Il est honteux que les négociants de tous les pays n'ayent pas établi entre eux la neutralité, comme fesaient autrefois les Villes anséatiques; il faudrait laisser les rois se battre avec leurs grands diables de soldats, et que le reste du monde se mît enfin à être raisonnable.

Point de vin de Seriere, je vous prie; nous avons du vin pour deux ans, et à moins que ce vin de Seriere ne soit éxcellent la troisième année qu'en ferions-nous? et quel mortel est sûr de boire pendant trois ans? Je ne suis sûr que de vous aimer jusqu'au dernier moment de ma vie très-retirée. made Denis partage tous mes sentiments pour vous, Monsieur, comme elle partage ma solitude.

Monsieur votre frère m'apporte dans ce moment vos graines; c'est le plus joli présent que vous pussiez me faire. Je sème dans le moment vos oignons d'Egypte; les Israëlites ne les aimaient pas plus que moi. Voilà sur quoi j'abuserai de vos bontés. Je vous supplie de m'envoyer tout ce que vous pourez en fleurs et en légumes. Le jardin en est absolument dégarni; il faut tout faire ici; je fonde Carthage.

Je vous embrasse bien tendrement.

V.