1755-03-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacques Abram Elie Daniel Clavel de Brenles.

Je fais mes compliments, mon cher Monsieur, à l'humanité en général, et à Lausanne en particulier si votre ouvrage vous ressemble.
Je vous remercie de mettre au monde des philosophes. Il faudra bientôt que je quitte ce monde maudit où il y en a si peu: je me consolerai en sachant que vous en conservez la graine. Vous devez être bien content; vous donnez la vie à un être pensant, et vous sauvez celle d'une pauvre fille: cette dernière action est bien plus belle encore; car les sots font des enfants, mais ils ne font point verser des larmes aux juges. Vous étes le Ciceron de Lausanne. Je compte bien venir vous embrasser à Monrion, et y faire ma cour à Madame de Brenles dès que je serai quitte de mes ouvriers. Je suis assurément bien loin de vous oublier; vous savez que je n'ai pris Monrion que pour vous et pour vos amis; je n'en avais nul besoin. J'ai la plus jolie maison et le plus beau jardin dont on puisse jouir auprès de Genêve: un peu d'utile s'y trouve même joïnt à l'agréable. Je suis occupé à augmenter l'un et l'autre: je suis devenu maçon, charpentier, et jardinier. Votre mêtier est assurément plus beau, de faire des garçons et de sauver des filles. Nous prenons ma nièce et moi la part la plus tendre à tous vos succès. Nous fesons mille compliments au père, à la mère, et au nouveauné. Il faudra qu'il soit baptisé par un homme d'ésprit: je me flatte que ce sera Monsieur Pollier de Bottens qui fera cette cérémonie. Ne m'oubliez pas, je vous prie, auprès de ce digne ami. De belles terres et une belle gallerie m'ont fait génévois; mais c'est vous et Monsieur de Bottens qui me faites lausannois. Adieu, mon cher Monsieur, vivez heureux, et aimez un homme qui met son bonheur à être aimé de vous. Je vous embrasse et suis pr jamais

v. t. h. et ob. serv.

V.