1755-04-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Vous me trouvez donc gay, Monsieur; je vous jure que ce n'est guères qu'avec vous.
Je mets dans les maux qui m'accablent, toute ma consolation à embellir notre hermitage. made Denis se charge du dedans, et moi du dehors, et vous avez la bonté de nous aider dans toutes nos entreprises. Vous garnissez notre cave, vous verdissez nos treillages, vous voulez encor que nous ayons de beau sucre de la foire de Bockere; il servira à faire des confitures avec des groseilles qui croissent aux Délices; il faudra bien que vous en mangiez. Je ne sai si je me trompe, mais il me semble que je ne fais ici que le nécessaire, et ce nécessaire me parait immense. Vous m'avouerez qu'on ne peut guères se passer d'une grande basse-cour, ni d'appartements à donner à ceux qui voudront bien venir manger nos poules. Il n'y avait rien de tout cela. Je vous assûre que je ne suis pas désœuvré. Tout votre Bostangi, et tout votre maçon que je suis, je travaille toujours de mon ancien mêtier. Il n'y a pas d'apparence qu'avec tant d'occupations, je puisse aller à Lyon. Je vous attendrai paisiblement aux Délices; ainsi à la première occasion, ayez la bonté, Monsieur, d'ajouter à tous vos soins officieux, celui de me renvoyer les habits qui étaient dans cette longue caisse platte. Il est vrai qu'il y en a un d'hiver, mais il y en a un aussi d'Eté, car il est de drap de Silésie, et j'en aurai besoin incessamment. Après vous avoir demandé pardon de ces détails, en voici un autre qui n'est pas moins nécessaire que le poulailler et les appartements; c'est une petite lettre de change sur Mr de la Leu. Adieu, Monsieur, je vous sai bon gré d'aimer la Tragédie. Les Tronchins ont leurs raisons pour cela; et tous les baux arts sont de leur ressort. made Denis et moi nous vous renouvellons les assûrances de la plus tendre amitié.

Je vous embrasse mille fois.

V.

N. B. Je ne sçai que trop les fraises et les artichaux se plantent. J'ay une peine incroiable à trouver des pieds de fraisier, et des œilletons d'artichauds. Ah si… mais je ne veux pas vous excéder.