1755-04-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

J'ai reçu, Monsieur, de votre part de l'or, des diamants, et des graines; ces dernières me sont bien plus prétieuses, je les dois à vos bontés, et elles augmenteront nos véritables richesses, qui sont celles de la campagne.
Nous avions bien plus besoin ici de laitues que de bagues, mais l'or monnoyé sera un peu nécessaire avec les ouvriers que nous avons, et les ballots qui nous arrivent. Nous sommes occupés Madame Denis et moi continuellement à déballer, à bâtir, à meubler, à planter, à semer, à détruire, à édifier, à tout faire dans une maison où on disait qu'il n'y avait rien à faire. Nous en avons encor pour quatre mois au moins.

On vient de m'avertir, Monsieur, qu'il faut que je m'en tienne au verdet, et aux brosses que j'ai pris la liberté de vous demander si impudemment. On assûre que je trouverai ici tout le reste; mais pour le verdet, il faut bien le faire venir du Languedoc.

La crainte de la guerre a fait ici terriblement enchérir le sucre, et nous avons eu la belle précaution d'en acheter une provision fort chère. Nous vous serions très-obligés si vous vouliez bien nous mander ce que vaut à Lyon le sucre ordinaire, et le sucre rafiné, et s'il ne vaudrait pas mieux le faire venir de France que de l'acheter à Genêve. Il me semble que quand on a dans ce pays-ci une grosse maison, il faut s'adresser à Lyon pour tous ses besoins. Adieu, Monsieur, je suis honteux de tant d'importunités; mais puisque je suis en train, je vous prierai encor de vouloir bien renvoyer la caisse d'habits que j'ai fait remettre chez vous. Je les avais laissés dans l'espérance de passer l'hiver prochain à Lyon, mais je vois que cette espérance était mal fondée. Il n'y aura qu'à ordonner qu'on ouvre la caisse qui est quatre fois trop grande et qu'on la fasse beaucoup plus petite. Vous auriez la bonté d'ordonner qu'on joignît cet envoi à celui du verd-de-gris. Nous nous appercevons qu'il ne faut faire venir que de gros paquets de chez vous: je ne sçai comment les petits coûtent autant de droits que les gros.

Voylà une lettre dont je vous demanderais pardon si vous n'étiez pas le plus indulgent et le plus officieux de tous les hommes. Messieurs vos frères sortent de chez moy. Leur cœur ressemble au vôtre. Je vous aime tous et de toute mon âme.

V.