1763-02-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Je reçois un gros paquet de mon cher frère avec sa belle et bonne lettre du 20 février, le tout étant enveloppé dans un papier destiné aux opérations du vingtième.

Je suis toujours émerveillé que mon frère enseveli dans ces occupations désagréables, ait du temps de reste pour les belles lettres et pour la philosophie. Vous étiez fait assurément pour des emplois supérieurs. Que de magistrats, que d'hommes en place seraient heureux de penser comme vous! ou plutôt que la France serait heureuse!

J'avais depuis longtemps l'énorme compte du procureur général de Provence. J'ai une bibliothèque entière des livres faits depuis trois ans contre les jésuites. Dans quelque temps on ne se souviendra plus de tous ces livres, et on dira seulement, il y eut des jésuites.

Je vais écrire à Cramer de Genêve pour avoir mon histoire du Languedoc dont je vous remercie infiniment. J'espère y trouver de quoi détester le fanatisme.

Je vois par la lettre de mon frère qu'il faudra encore quelques cartons à l'histoire générale. Rien n'est si difficile à dire aux hommes que la vérité.

On a oublié, ce me semble dans les petites plaisanteries que mérite Simon le Franc, la guerre éternelle qu'il a jurée aux incrédules dans le village de Pompignan. Remercions bien dieu de l'excès de son ridicule; je vous réponds que si ce petit président des aides de province n'était pas le plus important des hommes, il serait le plus dangereux.

Je suis honteux de demander toujours des livres et de vous fatiguer de mes importunités. Je crois que j'aurai bientôt une bibliothèque aussi nombreuse que celle du marquis de Pompignan. Je m'enhardissais un peu dans mes demandes indiscrètes, parce que je croyais que mon frère Thiriot était toujours au fait de la librairie; qu'il se faisait un plaisir de chercher des livres; mais puisqu'il abandonne tout et que je retrouve dans monsieur Damilaville un nouveau frère aussi actif qu'indulgent, voici une petite note que je viens de tirer sur le catalogue de Saillant.

J'embrasse tendrement mon frère et mes frères.

Ecrasez l'infâme.

Gabriel Cramer de Geneve m'apprend dans ce moment qu'il a reçu depuis un mois l'Histoire de Languedoc, sans lettre d'avis, et sans savoir pour qui elle était. Je prie mon frère de vouloir bien donner à m. Blin de Saint Maur et d'envoyer le billet à Duchêne. J'abuse terriblement des bontés de mon frère.