1762-01-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Vous me demandez, mon cher monsieur, combien je vous demanderai de contribution au mois de février et de mars.
Cela pourra monter en tout à près de douze mille livres et je crois que je vous prierai de plus de m'envoyer une accolade de deux cents louis. Je pense très sérieusemtà l'abus extrême que ns faisons ma nièce et moi de vos bontés et de celles de mr Camp. Quelque indulgents que vs soyez cela doit vs fatiguer à la longue. Il faut que made Denis et madle Corneille aient q͞ques amusements. Ils sont bien dus à la bonté qu'elles ont d'habiter le pays de Gex neuf mois de l'année. Je voudrais mettre un peu d'ordre dans les plaisirs et dans les affes de made Denis. J'ai compté qu'ayt payé toutes les dettes de la maison, ayt fait des provisions considérables de toute espèce et lui abandonnant le revenu de la terre de Ferney elle pouvait avec cent louis par mois subvenir à toutes les dépenses en comptant les bagatelles qu'elle ferait venir de Lyon.

Voyez, mon cher monsieur, si vs pourriez pousser la bonté jusqu'à daigner entrer dans cet arrangement à commencer au 1er févr. Il faudrait alors faire un cte nouveau et ns résoudre à ne prendre dorénavant sur nos fonds de Lyon que douze cents louis par an qui seraient distraits de la masse. Je compte que je les pourrai rembourser au bout de l'année. Par cet arrangement je mettrais un ordre certain et invariable dans ma petite fortune.

Vs m'enverriez à bon compte deux cents louis à votre loisir dans la quinzaine présente et ce serait le seul argent que je vous demanderai pr moi dans toute l'année.

Quant à mr Camp s'il pousse la galanterie jusqu'à vouloir bien se donner la peine d'acheter tous les chiffons dont made Denis l'importune il faut bien endurer sa bonté, mais si cela le fatigue il peut ordonner à q͞qu'un en qui il aura confiance de se charger de cet importun détail et ce qu'elle aura acheté pendt le mois sera imputé sur les cent louis d'or. Approuvez vous mes idées? Il me semble qu'elles sont conformes aux vôtres. Par cette opération de finance ns n'aurons jamais de dettes criardes. Vs me pardonnez sans doute toutes ces petites libertés que je prends avec vous mais elles sont dictées par la confiance que vos bontés me donnent.

Vs serez peut-être aussi surpris que moi de cette pancarte du roi que je vs envoie. Je l'ai reçue avec une lettre de mr de St Florentin et j'en ai été tout stupéfait. Je croyais cette pension morte avec ma place d'historiographe. Il y a un temps infini que je n'y pensais plus et je ne sais pourquoi on me paye l'année 1758. La manière me touche mille fois plus que le bienfait. J'ai encore recours à vs pr ce bienfait même. Il me semble que vre ami mr Duvergier peut me faire payer. Voici ma quittance. Je vs donne toujrs quelque peine nouvelle. Ma lettre est bien longue, je vs ennuie mais il faut que je vs dise encore combien je vs aime.

Briasson m'avait annoncé une caisse de livres. Elle ne vient point.