Je donnerois volontiers dans ce moment, Monsieur, tous mes Livres pour le Ménagiana et les Oeuvres de st Real, tant je suis mortifié de ne pouvoir pas avoir l'honneur de vous les procurer; Je n'ai de Ménage que son Anti-Baillet, qui est fort à votre service, et rien du tout de l'Abbé, quoique celui-ci ait été autrefois un de mes Auteurs favoris, et peutêtre celui dont j'ai relu le plus souvent les principaux Ouvrages, parmi lesquels vous pensez bien, Monsieur, que je ne compte pas la vie de Jesus-Christ, qu'on est si surpris de trouver à côté de l'histoire de la Conjuration de Venise, ainsi que quelques autres morceaux attribués, peutêtre faussement, à st Real.
Je me suis proposé une infinité de fois d'acheter ses Oeuvres, et malgré tout mon goût pour elles, je n'ai point encore acompli ce dessein. Vous savez, Monsieur, qu'en fait d'emplettes littéraires la marchandise nouvelle est enlevée de préférence à l'ancienne, quoique pour l'ordinaire celle-ci soit de meilleure qualité. Vous en avez trouvé, Monsieur, à Périgueux d'une espèce que je n'aurois jamais imaginé qu'on pût y rencontrer, je veux dire le Dictionnaire philosophique, et qui plus est de l'édition qui alluma si fort ma bile. Vous ne serez sûrement pas surpris, Monsieur, que j'aye l'honneur de vous féliciter très sincèrement sur une aussi heureuse trouvaille.
C'est avec la même sincérité que j'ai celui de vous rendre des grâces infinies de ce que vous voulez bien me donner le moyen de réparer le mauvais tour qui m'a été joué par raport à cet ouvrage; Je pourrai bien quelque jour profiter d'une offre aussi gracieuse, quoi que le travail qui s'ensuivra m'éffraye un peu; Il y en a beaucoup plus que vous ne croyez, Monsieur; car outre un grand nombre d'articles qui me manquent, tels qu' Abbé, Confession, Dogme, Genese, orgueil, Théologien, &c. Il y a quantité d'additions aux autres, et quelques uns qui sont presque entièrement différens, comme, par exemple, Moyse et Salomon. Vous n'ignorez pas sans doute, Monsieur, qu'il paroit depuis peu un nouvel Ouvrage du même Auteur, et à peu près d'un semblable genre, intitulé L'A, B, C et prétendu traduit de l'Anglois. C'est un des derniers Journaux politiques qui m'en a donné la première connoissance, et depuis on m'a fait voir des Vers adressés à Mr de Voltaire à ce sujet, qui m'ont paru trop bien tournés pour être de Mr Saurin, comme le Manuscrit le portoit, et que je croirois plutôt de Mr Marmontel. Je fus très mortifié, Monsieur, de ne pouvoir pas en prendre Copie pour avoir l'honneur de vous en faire part; Je crois, Monsieur, que vous en seriez content.
Je vous suis très obligé de la bonté que vous avez eue de me communiquer les deux Pièces de vers que vous retrouverez ici. L'Epigramme a besoin d'être jouée pour être sentie. Il me semble que les Caustiques de Paris auroient pu tirer un bien meilleur parti d'un semblable sujet. Les Epigrammes qui sont semées dans le Russe à Paris sont fort supérieures.
Je suis très curieux de savoir quel est cet Ouvrage nouveau auquel Mr Marmontel travaille actuellement, et dont il a lu un morceau à l'Académie, en présence de S. M. Danoise; Je souhaite qu'il ne lui attire pas les mêmes tracasseries [que] son Belisaire, et que le Riballier n'y puisse pas mordre. Vous vous rapellez, Monsieur, qu'il avoit lu aussi quelques Chapitres de ce Roman politique dans la séance à laquelle assista le Prince héréditaire de Brunswick. Je crains bien qu'il ne nous faille attendre quelque nouveau Tome des Mélanges de Mr d'Alembert pour jouir de son Discours au Roi de Dannemarck; J'ai une très grande idée de ce morceau. La circonstance étoit trop rare et trop heureuse pour ne pas exciter un génie tel que Mr d'Alembert, et l'élever audessus de lui-même. Je suis bien persuadé qu'il en aura tiré tout le parti possible. J'ai reçu depuis peu son supplément à l'histoire de la Destruction des Jésuites en France, car je ne doute pas que cet Ouvrage ne soit de lui. J'ai pensé, Monsieur, que vous seriez bien aise de le voir, s'il ne vous étoit pas encore parvenu; En conséquence j'ai l'honneur de vous les faire passer. Ce supplément, par la date de sa publication, et l'oubli où commencent à être plongés ceux qui en font le principal sujet, a perdu il est vrai ce qui fait souvent l'unique mérite de bien des Brochures qui ont une très grande vogue; mais je crois, Monsieur, que vous lui en trouverez un intresèque et indépendant des circonstances, avec lequel il se soutiendra toujours. Je suis bien fâché de ne pouvoir l'acompagner que de deux journaux des Dames, d'autant de Couriers de la Mode et de huit Affiches tant de l'année dère que de la présente, non compris la Table de 68. J'ai aussi l'honneur, Monsieur, de vous remettre les six Journaux Encyclopédiques que vous avez eu la bonté de m'envoyer au commencement de cette année, et qui ne me sont parvenus que le 27 du mois der . Agréez en je vous prie, Monsieur, tous mes remercimens. Les détails que j'y ai trouvés concernant la nouvelle Edition de l'inépuisable Mr de Voltaire ont rendu encore plus vifs les regrets que je fais journellement, depuis que j'en ai connoissance, de ne pouvoir me la procurer en pleine propriété. J'admire toujours de plus en plus l'ardeur continuelle avec laquelle cet illustre Ecrivain travaille à perfectioner tous ses Ouvrages. Il me semble que le Public contemporain et àvenir ne sçauroient jamais lui en avoir toute la reconnoissance qu'il mérite. Je voudrois bien voir quel effet produit dans sa Mariamne ce Soheme qu'il a mis à la place de Varus. Il seroit fâcheux que ce changement l'eût obligé à sacrifier le beau portrait des Dames de Versailles et de Paris sous le nom de celles de la Cour d'Auguste; Cependant je n'imagine pas comment il lui auroit pu trouver place; Mais du moins on ne pourra pas blâmer le motif qui l'a porté à le retrancher; ce qui arrivera vraisemblablement à l'égard de quelques autres variantes, telles par exemple, qu'une de celles qui sont raportées dans le Journal Encyclopédique, à laquelle a donné lieu l'animosité que Mr de Voltaire conserve contre Mr de Maupertuis. Elle lui a fait dans cet endroit, substituer à de très beaux vers d'autres qui leur sont bien inférieurs, et dont le ton d'ailleurs n'est point du tout à l'unisson avec le reste. Le titre seul de l'Ouvrage devoit avertir l'Auteur d'être en garde contre lui-même, puisque c'est sur la modération. Je voudrois bien savoir, Monsieur, si l'Ane Littéraire a parlé de cette nouvelle édition, et s'il en a profité pour verser les poisons de sa bouche sur les premiers lauriers de Mr de Voltaire; En ce cas là je vous serois très obligé, Monsieur, si vous pouviez avoir la bonté de me faire voir cette feuille.
J'ai l'honneur d'être avec un attachement inviolable
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
Montmoreau
ce 17 février