1775-02-18, de Henri Louis Lekain à Henri Rieu.

Monsieur,

Vous ne m'avez point fait l'honneur de m'instruire des progrès de la nouvelle édition de mr de Voltaire, faite ou en train de l'être par m. m. Cramer.
Vous savez combien je m'intéresse à cette édition, puisque ce sera sans doute la plus complète qui existera; et c'est aussi celle que je me propose d'avoir lorsqu'elle sera terminée; jugez de mon impatience à savoir où elle en est, et s'il est encore temps d'y joindre un fragment superbe de la tragédie de Mariamne qui se trouve dans le Mercure de novembre 1768 et dont on n'a fait aucune mention dans les oeuvres de notre grand homme, imprimées à Genève et à Lausanne. C'est moi qui déterrai ce fragment et qui le donnai dans le temps à mr de Fontanelle, l'un des auteurs du Mercure. J'ai toujours oublié de vous en parler, et cependant telle était mon intention lorsque vous me fîtes l'honneur de m'écrire que l'on allait imprimer de nouveau l'œuvre de votre ami et de mon patron.

Les deux scènes dont il est question peuvent s'imprimer comme supplément; elles se passent entre Varus et Hérode et entre ce dernier et Mazoël; c'est un chef d'œuvre pour le style, pour l'éloquence et la force des idées.

Il serait fâcheux que le public fût privé d'une aussi belle chose, quoiqu'il ait approuvé le sacrifice que mr de Voltaire en a fait; son héros était peut-être un peu trop abaissé par la hauteur du prêteur; mais ce morceau de poésie inséré à la fin de la pièce, ne pouvait pas nuire au corps de l'ouvrage.

Lisez le je vous en supplie, et vous m'en direz après votre sentiment. J'ai retrouvé à la mort de mr de Pont de Vègle, frère de mr d'Argental, un manuscrit d' Eriphile, tragédie de mr de Voltaire, et j'ai eu la permission d'en faire faire une copie, que je garde comme un trésor; vous savez, monsieur, que c'est sur cette pièce qu'il composa sa tragédie de Sémiramis, et ce qu'il y a de plus étonnant, et ce qui caractérise d'autant le génie et la fécondité de notre ermite, c'est qu'il n'y a pas dans Sémiramis douze vers d' Eriphile.

Je cherche partout Artémise, et ne la puis retrouver. Si jamais je la déterre et que l'une ou l'autre vous fasse plaisir, soyez persuadé, monsieur, que c'en sera un très grand pour moi de vous la faire parvenir.

Faites moi l'amitié de me donner de vos nouvelles et de celles de Ferney, joignez y je vous en prie, celles de mme Rieu et de melle votre fille. Permettez moi de les assurer ainsi que vous, monsieur, du respectueux attachement avec lequel je serai toujours

votre très humble et très obéissant serviteur

Lekaïn