25 9be 1764
Mon cher frère,
Les auteurs du Portatif dont la plupart sont à Lauzanne, sont un peu étonnés du bruit qu'a fait leur livre, ils ne s'y attendaient pas. Je m'attendais encore moins à en être soupçonné; mais dès que je fus certain qu'on avait parlé au roi en termes très forts et qu'on avait voulu exciter contre moi jusqu'à l'évêque d'Orléans, je fus obligé d'aller au devant des coups qu'on me portait. Je me trouvais alors dans des circonstances très épineuses, j'y suis encore; il s'agit d'obtenir de nouvelles lettres patentes du roi en faveur de la terre de Fernay: vous m'avouerez que le Portatif n'était pas une bonne recommandation. Il eût été inutile de le désavouer à la cour si je n'avais pas fait le même désaveu à la ville; les deux démarches étaient indispensables. Je savais ce que les Omer avaient dit et il valait certainement mieux aller au devant de la calomnie que d'attendre pour la réfuter quelque aveu tiré du grand escalier. Ne doutez pas que quelque bigot n'eût proposé mon exclusion de l'académie.
Enfin mon avis sera toujours qu'on écrase l'infâme et qu'elle ignore la main qui l'écrase.
J'attends toujours des Dumarsais, des st Evremont, des Mesliers. J'ai reçu des Enocs, cela n'est pas publici saporis. Je n'ai point vu les lettres de Jean Jaques, on ne les connaît point encore dans notre Suisse. On a aussi imprimé sous mon nom des lettres secrètes. On dit que c'est m. Robinet qui m'a joué ce beau tour. Si les lettres sont secrètes, il ne fallait donc pas les rendre publiques, mais on croit que le secret restera entre m. Robinet et son imprimeur; on m'a mandé que c'est un recueil aussi insipide que si l'on avait imprimé les mémoires des mon tailleur et de mon boucher. Vous voyez qu'on me regarde comme un homme mort, et qu'on vend tous mes effets à l'encan et que Robinet s'est chargé de mon pot de chambre.
Adieu, mon cher frère, adieu, mon cher philosophe.