1764-11-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Vous êtes les anges des Corneille, comme vous êtes les miens; ainsi je compte que mad. Dupuis n'est pas trop téméraire en suppliant m. Dargental de vouloir bien faire rendre le paquet ci-joint à m. Corneille. Le marquis est arrivé, et il a bien promis d'envoyer les feuilles qu'on demande; et je ne doute pas que le prince et le marquis n'ordonnent à leurs principaux officiers, de faire les recherches nécessaires dans leur chancellerie, moyennant quoi l'héritier du nom de Corneille peut se flatter de recevoir dans quelques mois un paquet scellé du grand sceau.

Mes anges m'avaient tenu le cas secret sur les lettres secrètes; je ne les ai point lues. C'est un nommé Robinet, qui est allé exprès à Amsterdam. Je ne crois pas que son entreprise lui paye son voyage. Il prétend aussi faire imprimer ma correspondance avec le roi de Prusse; en ce cas, il publiera de bien mauvais vers. Vous croyez bien que j'entends les miens car ceux d'un roi sont toujours bons.

Il me paraît que je ressemble assez à un homme dont le bien est à l'encan; on vend tous mes effets comme si j'étais décédé insolvable, et on fourre dans l'inventaire bien des choses qui ne m'appartiennent pas; mais comme je suis mort ce n'est pas la peine de me plaindre.

Dieu bénisse les vivants et qu'il accorde à mes anges la vie sempiternelle le plus tard qu'il pourra.