1737-12-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bonaventure Moussinot.

Je vous prie mon cher abbé de vouloir bien avoir la bonté d'envoyer chez Praut, et de le faire un peu gronder par mr votre frère.
Il ne m'envoye ny l'exemplaire de L'enfant prodigue que je demandois par la poste, ny les volumes qu'il me doit. Il n'y a aucun de ces volumes qu'on ne trouve à Paris en un demy quart d'heure. Mais je suis honteux de vous gêner toujours pour des bagatelles. L'affaire de mr de Guise n'est pas si bagatelle. Savez vous bien que vous ne feriez pas mal d'aller voir mr Chopin dans quelque intervalle de la grandmesse et de vêpres? Il me semble qu'on fait plus de choses dans une conversation avec le chef de la comission, que par des rames de papier timbré. Vous diriez à ce mr Chopin que le sérénissime prince de Guise se moque de moy, chétif citoyen, qu'il fait bombance à Arceuil, et laisse mourir de faim ses créanciers. Vous luy feriez un bau discours sur la révérence qu'on doit aux rentes viagères. Il est vray que le Roy a réduit les nôtres à la moitié, mais le prince de Guise n'est pas si modéré, il me retranche tout à fait, les miennes. Je vous avoue que je trouve ce procédé là pire que les barricades de Guise le balafré. Je souhaiterois que ce monsieur Chopin eût quelques rentes viagères, il verroit ce que c'est que de n'avoir point de quoy vivre de son vivant, et de laisser à ses hoirs trois ou quatre années à percevoir. Je sçai bien qu'il ne seroit pas mal que je fusse à Paris, mais je crois mes affaires mieux entre vos mains qu'entre les miennes.

Notre terre de Faou est un terrible embaras. Il s'agit de quatre mille livres de rente. Seriez vous fâché de passer chez le notaire le Chanteur, rue st Antoine près de la Bastille? C'est un bon homme, vray et franc, il vous diroit si mr de Richelieu a d'autres biens libres. C'est l'ancien notaire de la maison. Vous enverrez d'ailleurs à mr de Surville la lettre pour ses étrennes. Elle peut servir, et ne peut nuire, donc il faut l'envoyer. Adieu mon cher abbé, nous boirons à votre santé en mangeant le pâté.

V.