1738-01-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bonaventure Moussinot.

En réponse à votre lettre du 6 janvier 1738.

1º j'avois déjà par devers moy la sentence des requêtes pour la vente de Spoy, et je me confirme tous les jours dans l'idée que ce seroit une bonne acquisition. Ainsi donc si de votre côté vous pouvez arrêter la somme de 20 ou 30 mille francs qu'on employeroit par privilège pour m'aider dans cette acquisition, je vous serois très obligé. Nous avons du temps pour y penser d'icy en avril ou may. Je savois aussi que le châtau restoit à made Destain veuve du cordon bleu, qui a je croy ce châtau pour son habitation. Mais je sçavois qu'elle a 80 ans et que d'ailleurs elle cédera son droit pour très peu de chose. De plus je ne compte point habiter sitôt à Spoy, et je me flate seulement qu'étant àportée de très bien régir cette terre, je la ferai valoir baucoup plus qu'elle n'est afermée depuis cent ans. Mais j'ay tout lieu de croire que ce décret par le quel on vend cette terre est un acord, par le quel quelqu'un de la famille veut se la faire adjuger. Me de Maulevrier, fille de Mr Destaing le cordon bleu, est probablement la personne qui a cette terre en vue. Voylà de quoy ce mr Martin d'Aras pouroit très bien vous instruire, et en ce cas si madame de Maulevrier vouloit passer un compromis avec moy, je m'arrangerois avec elle pour avoir cette terre à vie. C'est une petite négociation que je remets à votre prudence.

2º j'attends la décision de mr Chopin, mais ce ne sera pas de L'argent comptant. Voylà pourquoy dans l'état des sommes que je voudrois avoir vers mars, je n'ay point compris la dette de mr de Guise, ny même celle de mr de Leseau.

3º je suis fâché et je vous demande pardon de la peine que vous vous donnez d'aller vous même chez Praut. Mais on ne fait point de réponse à mes petits billets en marge, et c'est ce que je voulois. Aureste, je charge Praut de m'envoyer les livres dont j'ay besoin parceque c'est à compte de l'argent, qu'il me doit.

mr votre frère me feroit plaisir de me chercher l'abrégé des transactions philosofiques, 9 volumes, chez Briasson, Cavelier, Bauche etc. Alors Praut me les achèteroit et cela entreroit dans mon compte. Je le prie aussi de me chercher, introductio ad veram fisicam a Joanne Keil, et si cela se peut, la dissertation de mr de Mairan sur les fosfores 1717. Mais où trouver cela? J'attends le Telefonte.

4º en donnant le louis à Darnaud donnez luy je vous prie ce billet.

Je reviens à la terre en question. J'aprends qu'il y a baucoup de réparations à faire, chose très naturelle dans une terre en décret. Il y a des vignes, assez bien tenues, mais onze cent arpens de bois sont entièrement dévastez, et tout les gros chênes ont été vendus. J'entrevois que si la terre est vendue soixante mille francs, il y faudra faire pour 8000lt de réparation. Joignez y le quint et le requint qu'il faut payer en entier, cela reviendra à plus de 80000lt, et je ne crois pas que la terre puisse jamais raporter toute charge faite plus de 3500lt de rente, administrée avec toute L'œconomie possible. Je n'en ay pas du moins jusqu'à présent d'autres notions.

Si les choses sont ainsi, si on a déjà offert plus de 60000lt (ce que vous pouvez savoir) il faudrait en ce cas y renoncer, et prendre le party de placer sur mr de Bresé les 3000lt. Cet employ serait d'autant plus agréable que l'on seroit payé aisément, et régulièrement sur des maisons à Paris. Voicy donc mon avis.

En cas que L'employ sur mr de Brezé soit solide, je serois d'avis que vous prissiez 25000lt chez mr Michel, et que vous les plaçassiez sur mr de Bresé. Et si après cela la terre de Spoy pouvoit se donner pour 50000lt nous les trouverons bien vers le mois d'avril, nous en emprunterons une partie au denier 20. Je trouverois quelque chose dans le pays où je suis. Je vendray mes actions, j'aurais encor quelque argent que nous allons recevoir. En un mot je voi que je peux fort bien placer actuellement 25000lt, et acheter encor la terre 50000lt. Et si elle valoit d'avantage je ne crois pas à vue de pays que je dusse l'acheter. Le résultat de tout ce verbiage est donc que vous placiez vingt cinq mille livres en rentes viagères au denier 20 et que vous tâchiez à votre loisir d'assurer vers le mois d'avril un emprunt d'environ 20 à 30 mille livres à placer par privilège sur une terre de 3000lt de rente, cela ne sera pas je croi difficile.

6º une chose que j'ay extrêmement à cœur c'est que l'on puisse doresnavant recevoir avec exactitude mes ventes viagères et autres. Je croi que j'y parviendrai, 1. en faisant signifier comme nous avons fait la délégation de mr de Guise aux fermiers, et en saisissant ailleurs, s'il le faut; 2. en obtenant de mr de Richelieu une délégation que je solliciteray vivement, et une autre de mr de Leseau. Le reste se payera assez exactement, et a toujours été assez bien payé. Il faut songer à jouir.

7º j'ay receu le billet de melle d'Amfreville. Avez vous vu mes nièces?

8º voicy un billet pour mr votre frère dont j'attends réponse en marge.

9º je vous avois prié de vous informer d'une lunette d'environ 25 pieds et de ce que cela coûte, par ce que j'en marchande une icy. Souvenez vous que parmy les bouteilles d'encre renvoyées à la femme de Lebrun il y a un termomètre qu'il faut rendre à votre monsieur pour qu'il m'en donne un autre.