10e 9bre 1777
De mes deux anges il y en a donc un qui est devenu l'ange exterminateur.
Il extermine en éffet ma pauvre Irène, il prétend qu'elle sera trainée à la morgue, et pendue par les pieds, parce qu'elle s'est tuée étant chrétienne. L'ange exterminateur aurait raison si l'Impératrice de Constantinople prétendait avoir bienfait en se tuant, mais elle en demande pardon à Dieu, elle lui dit,
Elle ajoute même en fesant un dernier éffort,
Son dernier mot étant un acte de contrition, il est clair qu'elle est sauvée.
Vous jugez bien que pendant qu'elle prononce ces dernières paroles avec des soupirs entrecoupés, son père et son amant sont à genoux à ses côtés, et mouillent ses mains mourantes de leurs larmes. Je crois fermement que tous les gens de bien pleureront aussi.
J'ai adressé, je crois, à l'ange exterminateur quelques petites corrections qui m'ont paru nécessaires, mais elles ne sont pas en assez grand nombre; je me suis dépêché, craignant que Monsieur Le Maréchal de Duras ne fût revenu. On ne fait rien de bien quand on se presse.
Nous allons éssaier Irène pour les noces de Madame De Villette. On la jouera derrière des paravants au coin du feu, et nous verrons l'éffet tout aussi bien que si nous étions dans une salle de Spectacle.
J'avoue à Monsieur Baron que je pense comme lui, je crois cette tragédie vraiment tragique; et peut être la plus favorable aux acteurs qui ait jamais paru. Je pense que les passages fréquents de la passion aux remords, et de l'espérance au désespoir, fournissent à la déclamation toutes les ressources possibles. J'oserais même dire que le théâtre a besoin de ce nouveau genre, si on veut le tirer de l'avilissement où il commence à être plongé, et de la barbarie dans laquelle on voudrait le jetter.
Je n'ai point dit à Mr Le Maréchal de Duras de quoi il s'agissait. Je ne veux point non plus essuier à mon âge les caprices et les impertinences de quelques comédiens.
Si je vous ai un peu amusés, Messieurs, je me tiens paié de mes peines. Il est vrai que je n'aurais pas été fâché d'être un peu bien reçu à Paris à la suitte d'Irène, mais je crains bien de mourir sans avoir tâté de cette consolation.
Monsieur Baron doit savoir qu'il demeurera dans son second étage; Madame De Villette mérite de demeurer avec lui.
J'ajoute icy un petit mot sur Irêne, c'est que Monsieur Baron a la plus grande raison du monde de dire qu'il n'y aura pas un homme dans le parterre qui éxaminera si le suicide est chrétien ou non. De plus, il est bon de dire à l'ange exterminateur que le suicide n'est deffendu dans aucun endroit de l'ancien ni du nouveau testament. Il y a une loi de Marc Aurêle qui ordonne de ne point confisquer les biens de ceux qui se sont tués. Je me flatte que si nous sommes barbares au Châtelet, nous ne le sommes point au théâtre.
V.