A Montfalcon, par Mâcon, 20 septembre 1748
Est ce injuste, cher cousin, que n'être pas encore content, malgré votre longue, agréable et curieuse lettre du mois passé?
Non. C'est ne l'être pas. Car vous avez eu tort et, depuis, des choses infinies à me dire, et vous n'en avez rien fait, monsieur le perfide. Vous attendez que je vous fasse réponse. Quelle erreur! Cette exactitude d'alternative n'est pas proposable. Je n'ai rien à vous conter d'amusant. Voulez vous que je vous entretienne de mes moutons, de ma vendange, du murmure des ruisseaux, et autres sottises champêtres? Vous verriez les six curieuses pages que je vous aurais [écrites], si on jouait à Montfalcon des Sémiramis. Comment! une pièce nouvelle de Voltaire, dont pas un chat ne me dit le mot! Et toi, mon fils, aussi! Combien voulez vous parier qu'il y a un spectre et un tombeau de Ninus? C'est mon fait à moi, qui aime les Assyriens à la folie, quoique le duc de Nivernais prétende qu'ils sont nés pour le malheur du monde, à voir tant de disputes qu'ils produisent à l'académie, au milieu desquelles je me pique d'être un des plus forts contendants. Revenons à Sémiramis. J'aime les spectres. Aura-t-il habillé une de ses anciennes pièces? C'était une Eriphile que j'ai vue jadis; il y avait mis un tombeau, des revenants, des âmes de purgatoire pour faire mourir de frayeur le parterre, qui, de malice, ne voulut mourir que de rire. Une telle contrariété piqua tellement Voltaire qu'il supprima sa pièce où il y avait cependant de belles choses, comme il y en a toujours dans les moindres ouvrages de cet auteur. Au vrai, on m'en parle si succinctement que c'est presque ne m'en rien apprendre du tout. Je ne suis pas plus instruit par une petite épigramme sur le tombeau de Voltaire. Je sais seulement que la pièce va toujours son train, et il est impossible qu'il n'y ait au moins quelques fort belles tirades et quelques situations singulières, dont vous me ferez part, en attendant l'impression qu'on n'aura probablement que cet hiver, car notre homme n'est pas dupe. De la manière dont on parle de la magnificence des décorations, cela seul suffirait pour la faire suivre. Aristote qui vient ici fort à propos, en fait une des six conditions qu'il demande pour une pièce parfaite. Maxime autem delectat apparatus. L'autorité du Péripatétique en cette matière est fort puissante sur le peuple de Paris, avec raison. Il est fort à souhaiter que nous [nous] mettions à imiter en cela la beauté des spectacles d'Italie. Avant que de quitter Sémiramis, avez vous relu à cette occasion celle de Crébillon? Ce n'est pas une des bonnes pièces de ce grand tragique. Nous verrons ce qu'elles ont de commun ou de différent. Moi qui vous parle, j'en ai fait une aussi, par amusement de société, ou plutôt je l'ai extraite d'une pièce italienne de Métastase. C'est le comble de la bizarrerie. Je vous la ferai voir. Mais ma Sémiramis n'est point amoureuse de son fils. L'action est le moment où son déguisement et son usurpation sont découverts.