1760-06-01, de Charles de Brosses, baron de Montfalcon à Charles Catherine Loppin, baron de Gemeaux.

…Vous voulez du Voltaire! Assurément, cher cousin, vous en aurez et avec abondance, car je suis ruiné si un libraire ne me rend un jour le prix de cette énorme quantité de lettres.
Je puis vous assurer que le divin poète n'a pas une affaire d'intérêt de 2 sols, qui ne me coûte au moins 20 l. Il finit toujours par se dédommager des affaires tierces sur mes bois, qu'il coupe comme des navets. Il a fait bâtir un théâtre neuf dans mon vieux château, c'est jusqu'à présent tout ce qu'il y a fait et assurément cela ne lui sera pas passé en ligne de compte sur les 12.000 l. qu'il y doit mettre selon notre traité, mais on dit qu'il a fort bien accommodé les dehors. Il est furieux contre votre ami Lefranc et non sans cause, il a fait contre lui des si, des quand et des mais; si bien que l'autre ne sait plus où se fourrer pour éviter cette pluie d'orage. A-t-on jamais pris cette place pour faire un sermon missionnaire, satirique et comique contre ses confrères cyniques, et surtout un portrait qui lève la paille d'un ministère faible, déshonoré, gouverné par les favoris et par la politique autri-chienne? Diderot est à Paris, très vaporeux, très persécuté, Jean Jacques, très atrabilaire et très hérissé, à Montmorency. Voilà tout ce que j'en sais, carje suis aussi reclus, comme le rat dévot ermite dans son fromage d'Hollande, où je me retire au centre, à mesure que les édits en rongent le contour et en diminuent le diamètre d'une étrange manière. J'accepte de bon cœur vos annales typographiques, puisque vous les avez doubles. D'ailleurs, j'ai renoncé à toute espèce de journaux, ils ne font que se répétailler, et il faudrait une galerie du Luxembourg pour les loger. Adieu, pour le coup, cher cousin.