1739-02-07, de Françoise Paule Huguet de Graffigny à François Antoine Devaux.

Quelque tard et quelque fatiguée que je sois, mon ami, puisque vous êtes à Lunéville, je ne puis laisser passer un ordinaire sans vous donner une marque de mon amitié: ç'en est une que de vous écrire, car je suis fatiguée horriblement, et il s'en faut beaucoup que je me porte bien.
J'ai reçu deux de vos lettres aujourd'hui, celles du samedi et du jeudi derniers; elles deviennent fraîches à présent, mais je sais bien pourquoi. Je suis bien fâchée de l'accident de votre montre; mais pourquoi ne pas faire vider les lieux? cela en vaut la peine, à ce que je crois. Je ne puis pourtant m'accoutumer à vous entendre traiter cela de provision de chagrin. Eh! mon pauvre ami! dieu vous fasse la grâce de n'en avoir jamais d'autres que les grognoneries de l'avarice de votre père.

Je suis bien aise que votre voyage soit rompu; j'aime à savoir où vous prendre. M. du Châtelet est arrivé ce soir et a beaucoup parlé de vous. Il m'a fait si peur des chemins, que je compte mercredi aller coucher au beau milieu d'un bourbier. Nous avons joué aujourd'hui l'Esprit de contradiction, avec applaudissemens; nous jouerons encore cette pièce avec l'Enfant prodigue.

De monde et de cahos j'ai la tête troublée.

Au vrai je n'ai pas le temps de respirer. Bonsoir; sachez seulement, mes chers amis, que je vous aime de tout mon cœur, puisque je vous écris. Le docteur m'a lu vos lettres pendant ma toilette de comédie, sans quoi je n'en aurais pas eu le temps. Je vous embrasse tous.

Encore un petit mot: ah! Panpan! je suis folle; mais la comédie, Desmarets, et les bons mots de ton idole me tournent la tête.