Cirey, ce jeudi, 29 janvier [1739]
Je reçus hier deux de vos lettres, mon cher Panpan; l'une du lundi 19 ouverte, et l'autre du jeudi 22, qui ne l'a pas été; vous voyez qu'elles ont encore l'agrément d'être de vieille date, et partant qu'elles me déplurent.
Je n'y voyais que l'inquiétude sur mon compte, et pas un mot des lettres que j'avais écrites, encore moins du départ de Desmarets. Une heure après que je les eus lues et que je rognonais, à part moi, madame du Châtelet m'envoya dire qu'elle en avait reçu une de m. son mari, qui lui mandait que Desmarets serait ici aujourd'hui ou demain; qu'il passerait à Commercy pour prendre mon argent, et qu'il m'apporterait un paquet qu'il lui avait renvoyé, parce qu'il serait ici plutôt que lui. Voilà la réponse à toutes mes lettres et me voilà bien aise. Mais le croirez vous, mon ami, les vapeurs m'ont rendu l'âme si noire que je ne sens plus le plaisir, je ne fais que le penser. A souper, madame du Châtelet me confirma encore tout cela, et me dit que m. du Châtelet vous avait fait prier de l'aller voir, et qu'il était surpris que vous n'y eussiez pas été. J'espère, mon ami, que vous réparerez cela, et que votre oisonnerie n'ira pas jusqu'à manquer à ce devoir. Revenons à vos lettres: je commence par l'article qui me paraît le plus intéressant pour vous. Vous êtes étonné que le professeur ne vous ait pas marqué de ressentiment de la peine que vous lui avez faite; eh! qu'y a-t-il d'extraordinaire à cela? A quoi servirait donc l'amitié, si elle ne prenait le parti de l'ami quand il semble avoir tort? elle est faite pour dire: il ne l'a pas fait; s'il l'a fait, c'est sans intention, et ce ne peut être qu'une faute légère: si les suites en sont fâcheuses, ce n'est plus à l'ami qu'il s'en faut prendre. Je parie que mon ami professeur a pensé tout cela; du moins l'aurais je pensé à sa place. Il est vrai que si depuis vous avez fait encore une autre faute, comme il me paraît, par ce qu'il m'a mandé, il lui est permis d'avoir un moment d'humeur et de vous en faire des reproches, mais pourtant sans que l'amitié en soit altérée un instant. N'est ce pas, mon ami professeur, voilà votre histoire? voyez si je vous connais bien. Parlons de vous à présent: je viens de relire vos deux lettres, et je vois que ce ne sont que des réponses où il n'y a point de réplique; je ne parlerai qu'à un de vous. Vous croyez, mon cher Panpichon, que j'ai été fâchée de ce que vous m'avez écrit sur Paris? je vous assure que non; pardonnez moi les lignes d'humeur que vous avez pu trouver dans mes lettres. Si vous m'aviez vue dans mes vapeurs, vous croiriez que ce sont des échappées qui partent sans m'en apercevoir: j'aurais une peine sensible si vous vous en étiez fait de ces choses là. Vous savez comme je suis, et quoique vous ne sachiez pas comme je viens d'être, vous devez, par comparaison, me pardonner quelques minutes d'humeur: voilà qui est fini, n'est-ce pas? Ne parlons plus d'humeur, car je n'en ai point aujourd'hui: je n'en ai plus depuis que j'ai pris ma résolution pour Paris. Je sens tous les inconvénients d'un tel voyage, mais l'incertitude était encore pis. Si je puis loger chez madame Babaud, peut-être ferai je faire quelque chose à Masson, en soupant tous les jours avec lui. C'est une différence du tout au rien entre écrire et voir les gens d'affaires. Desmarets fait bien d'arriver, car ma bonne dame part demain pour Paris; et si les vapeurs étaient revenues, je ne sais ce que j'aurais fait de ma pauvre tête. Je ne puis vous rien dire du jour de notre départ. Il semble que l'on ait envie de garder Desmarets le reste du carnaval; mais je ne sais si ses affaires lui permettront de rester: vous en savez plus que moi; allez toujours votre train pour l'écriture, tant que je ne vous dirai rien de plus positif.
Bonsoir, aimable ami; je suis plus sensible que jamais à toutes les délicatesses que je trouve dans votre amitié; je vous aime aussi plus que jamais, s'il pouvait y avoir du plus dans mon amitié. Embrassez tous mes chers amis, je vous en prie; je les vois, j'entends tout ce qu'ils disent, et j'en suis pénétrée de reconnaissance. Voilà une lettre pour madame de Mirepoix; faites la lui donner si elle est encore à Lunéville, sinon mettez la à la poste pour Vienne, en l'affranchissant; comme elle m'a dit de lui écrire, j'ai cru le devoir faire sur son mariage.
J'ai oublié de dire au petit saint de faire des tendresses pour moi à madame de la Galaizière, mais je m'en fie bien à son amitié qui n'a que faire de précepteur.
Voici une réflexion qu'il fait à la suite de la mort du cardinal Mazarin, qui me paraît bien intéressante. J'ai d'abord pensé à toi, car je t'aime trop pour ne pas te mettre de moitié dans mes plaisirs.