1739-01-15, de Françoise Paule Huguet de Graffigny à François Antoine Devaux.

J'ai reçu hier une de vos lettres toujours décachetées, mon cher ami; c'est celle de samedi 10 janvier; celle du lundi, 5 janvier, est en arrière comme vous le voyez; et celle de lundi dernier, que j'aurais dû recevoir hier, l'est aussi; cela ira comme il plaira au maître des postes.
Je ne conçois pas quelle rage ils ont de lire nos lettres, car il me semble que, quand on a une fois vu qu'elles ne regardent que nous, on devrait cesser cette indiscrète curiosité, parce que je ne les trouve pas assez bien écrites pour intéresser par le style; enfin il faut s'en mettre l'âme en repos; mais est on curieux des miennes aussi? Je suis persuadée que vous n'y prenez pas garde, et je voudrais cependant bien le savoir.

Je suis sûre, mon ami, que l'affaire du professeur, vous a donné bien de l'inquiétude, et je vous assure que je la partage bien sensiblement. Ce baron est donc toujours acharné après lui? voilà un vilain homme; mandez moi bien si cela n'aura point de suite, et si sa tête est sage. Je viens de lui écrire, mais je ne lui en parle pas, parce que je ne sais si vous voulez qu'il sache que vous me l'ayez mandé. Engagez le, je vous prie, à ne point me faire de réponse, je ne saurais tant écrire, et surtout depuis que je reçois tant de lettres ouvertes; cela me dégoûte. D'ailleurs je ne saurais m'empêcher de parler de choses qui intéressent votre petite société, et à la fin vos petits secrets pourraient bien être pénétrés, quoique peu intéressants; cela serait désagréable.

Vous me criez toujours, cher Panpichon, que je n'écris point à Desmarets; mais c'est que je ne sais point parler aux rochers! Je vous assure, mon ami, que le discours de votre petite voisine a pénétré à travers les brouillards de vapeurs qui m'environnent, et m'a fait sentir un mouvement de joie dont on n'est guère capable dans l'état où je suis: il m'a fait d'autant plus de plaisir que c'est une nouvelle preuve de mon amitié pour vous, et que j'aime à vous aimer et à vous savoir au moins une partie de l'âme tranquille; il n'y a que mon amitié qui la trouble: hélas! vous savez que c'est une de mes peines; mais, mon pauvre Panpan! qui est ce qui m'aimerait sans vous? Je suis sûre que vous aimez encore mieux que je vous sois à charge, et que j'aie la satisfaction d'avoir un véritable ami. Vous auriez du plaisir à voir avec quelle amitié je lis tout ce que vous me dites de l'occupation où vous êtes de moi, quand vous êtes rassemblés. Vous avez raison, mes chers amis, puisque vous êtes assez philosophes pour aimer une amie qui n'a que des inquiétudes à vous donner; aimez la bien, car vous faites son bonheur et son seul rempart contre le désespoit.

Je n'ai point de nouvelles de la duchesse; je n'en ai point de François; je n'en ai point d'Hercy ni de Toussaint, à qui j'ai écrit pour avoir du moins le peu qui me revient; les postes m'apportent des lettres de mes amis décachetées, voilà ma ressource. Cependant mes vapeurs diminuent; elles sont très modérées; mais une palpitation de cœur et d'estomac presque continuelle me tourmente. M. de Maupertuis part demain; j'ai soupé trois fois avec lui, car depuis que je suis malade, je ne vais plus au café; je descends à midi prendre la soupe avec ceux qui dînent, et le reste du jour je suis dans ma chambre. Je trouve en lui tout ce que vous m'avez dit, c'est à dire qu'il est fort aimable et très gai. Je crois qu'il n'en dira pas autant de moi, s'il se souvient jamais de m'avoir vue, car je ne suis ni gaie, ni savante; ainsi je n'ay pas le mot à dire. Mon dieu! que ces vapeurs rendent maussade! j'ai lu son Voyage en Laponie; je n'ai jamais rien lu de mieux écrit pour ce que j'en puis entendre, parce qu'à la fin ce sont des calculs et des observations auxquelles je n'entends rien.

Tiens, voilà de quoi calmer ton imptience; j'aurais bien voulu pouvoir te l'envoyer plutôt, mais il m'a été impossible de le faire avant ce jour. Ce n'est pas sans peine si je te l'ai transcrit en entier. Dieu créa le ciel et la terre en six jours et se reposa; j'ai été obligée de travailler le septième pour l'achever. Je trouve comme toi qu'il y a du merveilleux en elle, mais je ne lui pardonne pas sa barbare cruauté envers Monaldeschi. Je puis t'envoyer cet extrait sans commettre d'inconséquence.