1739-01-19, de Françoise Paule Huguet de Graffigny à François Antoine Devaux.

Je viens de recevoir deux lettres de Desmarets décachetées, et trois des vôtres décachetées aussi.
Soyez sûr, mon cher ami, que de quelque écriture que soit le dessus, elles sont ouvertes. C'est sans doute pour ne pas faire de jalousie: à la bonne heure. Voici l'ordre des vôtres: une certaine de je ne sais quand est toujours en arrière avec celle de l'ordinaire dernier. Mais que je suis bonne! il faut bien le temps à ceux qui sont curieux de les lire, et peutêtre d'en prendre copie, tant on les trouve belles: enfin, les plus fraîches arrivent toujours un ordinaire plus tard. Celles d'aujourd'hui sont deux du lundi 12 et une du jeudi 15. J'ai envie de suivre le conseil que vous me donnez, de ne vous écrire qu'un seul mot à l'avenir, parce qu'à la fin cela me fatigue d'être si gênée, et mes yeux qui recommencement à me faire mal, en iraient peutêtre mieux.

Vous avez raison, mon ami, vous êtes un guide bien aveugle, car vous ne savez ce que vous dites, taisez vous; c'est ce que vous pouvez faire de mieux. Vous vous doutez bien jusqu'à quel point je suis sensible à tout ce que vous me dites de l'amitié du docteur: vous savez comme je pense à son égard. Il y a un article de votre lettre qui m'embarrasse fort. Vous dites que vous craignez et que vous avez lieu de craindre d'avoir contribué à mes peines, mais que c'est un coup de la fortune; je pourrais entendre le premier, mais je ne vois pas quel rapport trouver avec la fortune: je suis bien curieuse de cela, cependant je n'en veux point d'explication. Venons à une lettre de jeudi; vous m'en avez écrit deux, dites vous, cela est plaisant, l'une est arrivée, et l'autre est restée en chemin, c'est qu'on la copie apparemment. L'imagination languit, et le cœur souffre de cette tyrannie.

Vous faites bien d'être circonspect; je vous prie même de l'être encore plus à l'avenir, et de ne répondre qu'à ce que je vous dis, sans y mêler aucune conjecture. Vraiment, vous êtes tous admirables avec votre Paris, vous seriez bien habiles de m'y faire vivre en attendant la duchesse, qui ne sera peut-être pas de retour au mois de mai. Enfin, je ne puis y aller à présent, et je ne puis m'expliquer mieux, car il est cruel d'être sûre que des intérêts comme ceux de l'amitié qui nous lie, soient à la merci…. Ne me nommez personne dans vos lettres, je vous en conjure: n'entendons nous pas toujours de qui nous parlons? Avec les sots noms que vous avez donnés à tous nos amis et amies, vous m'en faites perdre la tête. Ah! quel homme que ce Panpan!

Vous n'aurez qu'à jeter mon chien dans la rivière si vous voulez, mais ne m'en parlez plus; ce sont des choses si loin de moi qu'elles me révoltent. Je vous ai bien parler de Lise, me direz vous, je suis sûre qu'un certain homme portait de son araignée. Vous dites que vous m'envoyez la lettre que je vous ai redemandée, c'est bien plaisant! croiriez vous que je ne l'ai pas encore reçue? Mon parti est pris, elle viendra quand elle pourra: mais peut-être est elle déjà à sa destination; c'est ce que je voulais.

Finissez vos commentaires, je vous en supplie, et ne me nommez point vos amis; je le répète, parce qu'en lisant vos lettres, je ne trouve que cela. Vous avez fait une prédiction dans une de vos lettres, il y a un mois ou six semaines, qui était plus vraie que celle que vous faites sur mon bonheur, je n'y ai nulle foi, je me connais.

Je ne me souviens point du tout des vers de m. de Puydebart, mais je parierais qu'il n'y a pas un mot de vrai dans l'histoire qui l'a tant divertis. Je crois reconnaître les gens dont il parle; et, si je ne me trompe pas, j'assurerais bien qu'ils en sont à mille lieues; mais vous êtes tous des bêtes, entendez vous? C'est ainsi que je vous traiterai, puisque vous ne voulez pas avoir de l'esprit. J'ai joué hier au trictrac avec le gros intendant, et je n'ai eu aucun plaisir; je songeais à nos parties de poule. Ah! mon dieu! bonsoir. Je me porte assez bien, c'est à dire en comparaison de l'état d'où je sors. Cependant je suis aussi bête que vous; mais n'est pas sot qui veut. Adieu, mon cher Panpan; bonsoir, mes chers amis; et vous, mon beau petit saint, vous ne me dites rien? je vous embrasse tous mille et mille fois.