1739-01-08, de Françoise Paule Huguet de Graffigny à François Antoine Devaux.

J'ai reçu hier, mon cher ami, votre lettre du 3 janvier; c'est toujours un ordinaire de retard, et toujours une de perdue: celle ci a été décachetée et très mal recachetée.
On dit que cela arrive très communément dans les postes, quand on y voit souvent la même écriture et la même forme de lettres. Je le croirais volontiers, car celle que je reçus hier de la Clairon n'a point été ouverte, ni les autres qui me viennent de Lunéville. Ceux qui s'amusent à nous lire perdent bien leur temps: qu'importe, cela est désagréable.

Je suis bien fâchée, mon ami, de toute la mauvaise humeur avec laquelle vous me parlez, et j'ai bien du regret de l'avoir augmentée par la lettre que vous avez reçue dans ce temps là, où je vous parlais de mes arrangemens, qui sans doute, vous déplaisent. Mon cher Panpan! à qui parlerai je de mes peines? … Hélas! il faut bien que vous m'écoutiez, puisque vous seul cherchez à les adoucir par votre amitié compatissante. C'est un pesant fardeau que celui de mon amitié, n'est ce pas, mon tendre ami? Ah! je vous en ai accablé déjà bien des fois, et vous m'avez bien la mine de le porter seul à l'avenir; en aurez vous bien le courage? Je vous avoue que plus j'approche du dénouement de mes affaires, plus j'en suis accablée; jugez en vous même: je maigris et mes yeux sont hors d'état de me dissiper. Je crois que vous n'auriez plus qu'une folle pour amie, sans cette charitable dame qui lit quatre ou cinq heures tous les jours auprès de moi. Je vous écris les yeux moitié fermés et moitié ouverts, et avec bien de la peine. Nous lisons don Calmet, qui nous fait plus de plaisir que Jacques Massé: c'est une chose surprenante que la beauté de ce livre; mais je n'ai pas d'assez bons yeux pour écrire des inutilités. Voici ce que je crois plus nécessaire: je vous avais prié plusieurs fois de demander à Joly la recette de la potion contre les vapeurs, envoyez la moi donc; j'en ai usé une grosse bouteille, et j'en ai plus besoin que jamais; j'en ferai faire dans quelque ville ici près.

Il me faut encore une autre recette, je l'avais prévu: il est arrivé que mademoiselle Dubois a laissé mâtiner Lise. Il faut envoyer chercher Etienne, et lui demander comment on peut la faire avorter, dans quel temps, et si cela ne la fera pas mourir; jamais je n'y ai été si attachée, et je sais bien pourquoi; elle le dirait bien elle même, si elle pouvait parler. Vous croyez bien que mademoiselle Dubois m'a chanté pouille, cela va de suite.

Bien loin de chanter pouille à ces pauvres amis de ce qu'ils se divertissent à mes dépens, je leur en sais bon gré. J'ai ri et pleuré à cet article de votre lettre: je voudrais bien faire des arguments aussi impertinents toute ma vie, et vous voir tous en rire. Ah! riez, mes chers amis, riez; je voudrais bien toujours vous faire rire. Adieu, cher Panpan! je suis bien fâchée de vous affliger en vous contant tous mes maux, mais je ne saurais m'en abstenir; il me semble que cela me soulage, et ma confiance en votre amitié est sans bornes.

J'oubliais une inquiétude qui peut tenir son coin dans mes affaires. Fanchon me mande que de gré ou de force on veut faire aller madame royale en Italie. Croyez vous que nos pensions en iront mieux? J'en ai tant, que j'oubliasis celle là. Cher ami, je t'embrasse comme je t'aime.