1739-01-10, de Françoise Paule Huguet de Graffigny à François Antoine Devaux.

Je ne sais, mon ami, si vous m'écrivez ou si vous ne m'écrivez pas, je n'ai point encore de lettres aujourd'hui; moyennant quoi en voilà trois en retard: le ciel en soit loué! Je ne vous écrirais pas, si je ne craignais que vous ne fussiez trop en peine de ma santé; ainsi, il vaut mieux vous dire que je n'ai que des vapeurs, que de vous laisser croire que c'est quelque chose de pis.
Il est vrai qu'elles sont violentes et presque continuelles. Joignez à cela le mal de mes yeux, et vous verrez que je suis une jolie demoiselle! J'écoute lire tant que je puis: quand cette bonne dame ne peut lire, Dubois me psalmodie les Mille et un jours. Mes yeux commencent cependant à mieux aller, mais je n'ose m'appliquer. Je connais de plus en plus la bonté du cœur de votre idole. . . . Quand je serais sa sœur, il ne serait pas plus touché de me voir souffrir. . . . Je le vois très peu, mais il envoie à tout moment savoir de mes nouvelles. Je comptais recevoir aujourd'hui, au plus tard, la lettre que je vous ai écrite et que je vous ai redemandée. J'espère que vous n'aurez point fait de difficulté pour me la renvoyer, car vous me feriez un chagrin sensible; ainsi, je l'attends, quand il plaira à la poste de me la rendre.

Dieu! rends nous la lumière et combats contre nous.

Ne m'envoyez pas la satire que je vous avais demandée dans mon avant-dernière lettre, je n'en veux point. Madame de Laneuville doit arriver ici le 18 de ce mois, peut-être irai je chez elle: on dit qu'elle a envie de me voir. Peut-être le changement d'air me fera-t-il du bien. . . . Ne m'écrivez pas que je ne vous le mande; adieu, mon cher Panpan, embrassez tous nos chers amis pour moi; vous êtes tous bien présents à mon cœur, mais, mon dieu! je ne vous vois pas! . . . Desmarets m'a mandé qu'il partait le 20 pour Paris, n'oubliez pas de le faire souvenir du dépôt qu'il doit vous laisser. Hélas! vous souvient il des testaments que nous faisions tous l'avant-veille de mon départ? Que le temps est court, mais qu'il est long, si on le mesure d'après les différentes façons de penser!