à Paris ce 25 octobre 1745
Il faudroit monseigneur vous écrire dans plus d'une langue si on vouloit mériter votre correspondance.
Je me sers de la française que vous parlez si bien pour remercier votre éminence de sa belle prose et de ses vers charmants. Je revenois de Fontainebleau quand je reçus le paquet dont elle m'a honoré, je m'en retournois à Paris avec madame la marquise du Chastellet qui entend Virgile et vous aussi bien que Neuton. Nous lûmes ensemble votre excellente préface, et la traduction que vous avez bien voulu faire du poème de Fontenoy. Je m'écriay
La fièvre et les incommoditez cruelles qui m'accablent ne m'ont pas permis d'aller plus loin, et m'empêchent actuellement de dire à votre Eminence tout ce qu'elle m'inspire. Elle me cause bien du chagrin en me comblant de ses faveurs. Elle redouble la douleur que j'ay de n'avoir point vu l'Italie. Je ferois volontiers comme les Platons qui alloient voir leurs maitres en Egipte. Mais ces Platons avoient de la santé, et je n'en ay point.
Permettez moy monseigneur de vous envoyer une dissertation que j'ay faitte pour l'académie de Boulogne dont j'ay l'honneur d'être. Dès que je seray un peu rétabli, je la feray imprimer, et j'auray l'honneur de vous adresser cet hommage sous l'enveloppe de Monseigneur le cardinal Valenti, si vous le trouvez bon, car les dissertations, de Paris à Rome ruinent, quand on ne prend pas ces précautions. Ce sera le troc de Sarpedon, vous me donnez de l'or, et je vous rendray du cuivre. Il y a longtemps que tout homme qui cherche à enrichir son âme trouve bien à gagner avec la vôtre. La mienne sent tout le prix d'un tel commerce. Je suis avec un profond respect
Monseigneur
de votre Eminence
le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire historiografe de France